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II y a aujourd´hui deux décennies, plus précisément dix neuf ans que le savant Cheikh Anta Diop nous quittait. Avant sa mort, le 07 Février 1986 à Dakar, Cheikh Anta Diop, un mois plus tôt avait honoré le Cameroun d´une visite historique, philosophique, politique, scientifique et éthique. Cette visite s´est révélée être un testament qu´il lègue, à la jeunesse camerounaise et au-delà de cette jeunesse, à la jeunesse africaine. D´où cette remarque de Jean-Marc ELA : “ Dans les capitales du continent, des milliers de jeunes envahissent les amphithéâtre pour écouter dans un silence quasi-religieux, le maître prestigieux partager le fruit de ses années de recherche. L´auditoire accueillait ses interventions avec admiration et enthousiasme. L´éminent historien savait parler un langage clair. En dépit du contenu de ses démonstrations savantes, son style était accessible au grand public ”. On voudrait ici, dans ce texte d´hommage et d´anniversaire du savant disparu, exposer ce que nous avons baptisé, faute de mieux, les leçons de Yaoundé. Il s´agit pour nous de consigner dans des thèses ou formules rigoureuses et vigoureuses, les grandes figures de la pensée depuis lesquelles s´ordonne l´œuvre scientifique de Cheikh Anta Diop, avec comme parti pris théorique et pratique suivant : dans ces figures de pensée à l´œuvre dans l´œuvre monumentale de Cheikh Anta Diop est inscrit le destin politique, philosophique, culturel, économique et éthique du Peuple noir.
Il est revenu au théologien, anthropologue, sociologue, Jean-Marc ELA, aujourd´hui contraint à l´exil par un Etat qui tue et exile, de fixer pour nous, la première figure de pensée de Cheikh Anta Diop. Il s´agit de l´Afrique Noire posée comme objet et enjeux théoriques et pratiques scientifiques. Jean-Marc ELA note :
“L´œuvre de Cheikh Anta Diop apparaît comme un long débat sur le problème de l´Afrique dans le regard de l´occident ”.

Avec Cheikh Anta Diop, l´Afrique Noire cesse d´être une simple et pure curiosité. Elle devient objet d´investigation scientifique. D´où cette formule heureuse de Jean-Marc ELA “ On trouve ici une série de réflexions qui s´ordonnent autour de l´Afrique, le centre de gravité de son œuvre et de sa pensée. Sur ce thème fondamental se polarise la vie du penseur passionné de recherche et rompu à toutes les disciplines intellectuelles ”.

Une autre figure de pensée s´impose à Jean-Marc ELA, lecteur attentif, passionné et fasciné de l´œuvre de Cheikh Anta Diop. C´est le couple organiquement lié du savant et du politique. Jean-Marc ELA note : “ En réalité, il s´agit ici de retrouver le savant et le politique au cours des années où l´homme de culture est témoin d´une époque traversée par des conflits qui ont provoqué la fin des empires ”.4

D´avoir traversé cette période de crise, de lutte acharnée , de conflits d´intérêts avec lucidité, modestie, audace de penser, doublée d´une éthique vigoureuse et intransigeante, Cheikh Anta Diop s´impose à la jeunesse Africaine comme figure de pensée et d´action de référence. “ Dans les Sociétés en désarroi où les jeunes Africains sont en quête de référence, la méditation de sa vie et de son œuvre ne peut-elle pas permettre aux nouvelles générations de se situer en profondeur par rapport à des valeurs fondamentales et de faire des choix d´avenir ? ”.

Quel est le choix politique, philosophie, éthique, économique et social de Cheikh Anta Diop ? De ce choix, Cheikh Anta Diop écrit. “ II devient donc clair que c´est seulement l´existence d´Etats Africains indépendants fédérés au sein d´un gouvernement central démocratique, des côtes libyennes de la Méditerranée au Cap, de l´Océan Atlantique à l´Océan Indien, qui permettra aux Africains de s´épanouir pleinement et de donner toute leur mesure dans les différents domaines de la création, de se faire respecter - voire aimer - de tuer toutes les formes de paternalisme, de faire tourner une page de la philosophie, de faire progresser l´humanité en rendant possible une fraternisation entre les Peuples qui deviendra alors plus facile qu´elle s´établira entre Etats Indépendants au même degré et non plus entre dominants et dominés ”.

Il y a 51 ans que ce texte a été écrit ! Cheikh Anta Diop se fait alors intellectuel engagé pour la réalisation de ce projet politique “Moi je pense que l´on doit s´engager, que l´on doit épouser la cause africaine. J´ai toujours vécu, j´ai épousé cette cause depuis que j´ai pris conscience [...] c´est en croyant en l´avenir de l´Afrique et en se mettant au service de l´Afrique nuit et jour, constamment et en essayant de résoudre les problèmes africains dans la mesure de notre intelligence, de notre lucidité, de notre propre formation intellectuelle, que nous pouvons tant soit peu apporter quelques chose et en être fiers de s´être attelés à cette tâche qui donne un sens à notre vie, le seul sens que notre vie puisse avoir aujourd´hui, c´est cela en tout cas, c´est le sens que j´ai donné à ma vie [... ]. Ce qui est important, c´est que Quel que soit le degré d´intelligence, cette intelligence doit être mise au service de l´Afrique d´une façon sincère, d´une façon radicale, d´une façon totale ”

Cheikh Anta Diop rappelle alors la philosophie politique dont il est l´un des meilleurs théoriciens et à laquelle il a donné son fondement historique et éthique. “Sur le plan politique je suis panafricaniste. J´ai la conviction que nos Etats nains géographiquement et démographiquement ne sont pas capables de faire face aux nécessités de l´ère cosmique. Dans 60 ans toutes les richesses de l´Etat Camerounais non renouvelables, y compris le pétrole seront complètement épuisées. Le Cameroun sera une caisse vide [...] ce qué je dis du Cameroun, je pourrais le dire à plus forte raison du Sénégal, du Mali, de n´importe quel Etat africain. ”

De là l´urgence à faire basculer le continent Noir sur la pente de son destin politique nécessaire : l´Etat fédéral. “ II faut cesser de tromper les masses par des rafistolages mineurs et accomplir l´acte qui consomme la rupture avec les faux ensembles [...] sans lendemain historique. Il faut faire basculer définitivement l´Afrique Noire sur la pente de son destin fédéral”

Pour le savant Cheikh Anta Diop, il y a un rapport de contemporanéité entre la construction de l´Union politique Européenne et la construction politique de l´Union africaine. D´où cette thèse : “ Ceci, les Européens l´ont compris et c´est pourquoi ils déploient des efforts colossaux pour dépasser la phase nationale et arriver à construire une Europe fédérale. Il m´arrive souvent de souhaiter que l´Europe réalise cette fédération car, ne serait-ce que par mimétisme, nous lui emboîterons le pas [...] et ce serait notre salut”
Mais Cheikh Anta Diop prévient l´Europe. “ Nous avons donc un devoir à accomplir à l´égard de l´Europe : nous devons l´aider à se guérir des vielles habitudes contractées par suite de l´exercice du colonialisme, l´amener à saisir le vrai sens de ses intérêts qu´elle n´arrive même plus à localiser. L´Europe toute seule est trop faible et à besoin d´un secours pour arriver à se faire. Or, elle se fera sans retard et sur des bases réellement démocratiques le jour où elle sera persuadée de la perte définitive de l´Afrique ; alors une fédération Européenne apparaîtra comme l´unique solution à tous ceux qui, jusqu´alors, se demandaient ce que deviendrait leur pays sans ses colonies ”

Après avoir ainsi défini le rapport de contemporanéité entre la construction politique européenne et celle de l´Afrique Noire à vocation fédérale, Cheikh Anta Diop précise avec rigueur et détermination le contenu politique, économique culturelle et social du fédéralisme de l´Etat africain “ Une fédération ce n´est pas une addition de misère, c´est la création d´un espace économiquement et politiquement viable qui nous permettrait de disposer, d´organiser notre marché intérieur, un des plus puissants et de plus vastes au monde [...] ceci [...] nous permettrait d´avoir un développement régionalisé ; après une étude approfondie, on verrait que tel institut métallurgique sera implanté sur tel territoire et non sur tel autre ; que telle institution culturelle ou scientifique serait installée sur tel ou tel pays. Et tous les jeunes africains qui voudraient se former constitueraient une équipe continentale qui irait se former sur un point du territoire [...] donc, un Centre africain continental où se grouperaient toutes les capacités intellectuelles ... ”

Et Cheikh Anta Diop de conclure : “ voici les raisons profondes qui font que je défende le fédéralisme. Il faut y arriver par des voies simples. Ce n´est pas un carcan qui va peser sur les épaules de chaque Etat, l´empêchant de jouir de sa personnalité et de sa souveraineté. Loin de là [...] vous pouvez voir que nous n´avons pas su conserver les acquis par égoïsme, parce qu´il existait bel et bien une fédération de l´Afrique Equatoriale et de l´Afrique Occidentale lorsque nous étions colonisés. [...] nous les avons fait voler en éclats, d´où l´émiettement. [...] on ne peut pas dire que cela n´est pas réalisable puisque que cela a déjà été réalisé. Nous n´avons pas su conserver l´acquis, hérité de l´époque coloniale d´une unité embryonnaire, à l´Ouest comme au Centre. Mais si nous voulons vivre demain, il faut refaire cette unité”

Cheikh Anta Diop, théoricien et militant du panafricanisme, nous prescrit un devoir éthique, philosophique et politique : le retour à l´Egypte “ Pour nous, écrit-il, le retour à l´Egypte dans tous les domaines est la condition nécessaire pour réconcilier les civilisations africaines avec l´histoire, pour pouvoir bâtir un corps des sciences humaines modernes, pour rénover la culture africaine. Loin d´être une délectation sur le passé, un regard vers l´Egypte antique est la meilleure façon de concevoir et de bâtir notre futur culturel. L´Egypte jouera, dans la culture africaine repensée et rénovée, le même rôle que les antiquités gréco-latines dans la culture occidentale ”

Ceci suppose une rupture radicale qui ouvre une nouvelle perspective dans l´ordre de la pensée. “ C´est aussi le lieu de dire qu´aucune pensée, et en particulier aucune philosophie, ne peut se développer en dehors de son terrain historique. Nos jeunes philosophes doivent comprendre cela et se doter rapidement des moyens intellectuels nécessaires pour renouer avec le foyer de la philosophie en Afrique... ”
Telle est la leçon magistrale que nous donne le savant/politique Cheikh Anta Diop. Dans cette leçon est inscrit notre destin politique actuel.