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07.09.2006

La crise du Muntu (Monga-Mbembé-Eboussi Boulaga) 

Achille Mbembe : “Il nous suffit d’avoir fait acte de pensée et de lucidité”, écriviez-vous dans la préface de votre ouvrage La crise du Muntu en 1979. À l’époque, vous étiez préoccupé, comme la plupart des penseurs africains de votre génération, par la question de la “ reprise de soi ”, c’est-à-dire d’un coté “ le désir d’attester une humanité contestée ou en danger ”, et de l’autre, “ celui d’être par et pour soi-même ”. Au vu de ce que nous sommes devenus depuis que ces lignes ont été écrites, que reste-t-il de ce projet aujourd’hui ? Que signifie, dans les conditions actuelles, faire “ acte de pensée et de lucidité ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : La crise du Muntu, achevée en 1974, a été publiée en 1977. Il serait surprenant que ce livre n’ait pris aucune ride. Mais en ce qui concerne ce que vous appelez son “ projet ”, il me semble qu’il demeure intact, n’ayant pas été réalisé ni entamé.
La raison en est qu’il est la présupposition de tout accomplissement qui se veut comme l’expression de ce que nous éprouvons spécifiquement et irréductiblement. C’est ce que visent des termes tels que “ la présence à soi ”, la responsabilité intellectuelle et morale de ce qu’on dit et que l’on fait, “ la raison libre et la liberté raisonnable ”.

Les descriptions et discussions phénoménologiques parfois obscures de l’ouvrage visent à partir de ce socle et à y revenir, comme à la pierre de touche des offres et demandes qui nous assaillent. Elles doivent passer par le crible de notre jugement et de notre vigilance tout comme ce que nous-mêmes proposons. Faire acte de pensée et de lucidité, voilà l’essentiel au-delà des étiquetages scolaires, disciplinaires et partisans.

Célestin Monga : Vos premiers travaux philosophiques ont porté sur ce que vous appeliez le “ Bantou problématique ”. Vous vous êtes ensuite appesanti sur ce que vous avez appelé la crise du Muntu. Quelle évaluation faites-vous aujourd’hui de la situation du Muntu ?

Fabien Eboussi Boulaga : Le Muntu est l’homme dans la condition africaine et qui doit s’affirmer en surmontant ce qui conteste son humanité et la met en péril. C’est à lui de faire l’évaluation de sa situation, de ce avec quoi et contre quoi il a à compter pour se faire une place, sa place dans un monde commun, dans le dialogue des lieux en quoi il consiste concrètement.

Achille Mbembe : Arrêtons-nous, un moment, sur le désir africain d’attestation d’une humanité contestée ou en danger. Où en sommes-nous aujourd’hui et où en est-on de ce désir ? Qui et qu’est-ce qui conteste notre humanité ? À vos yeux, quels types de dangers continuent de peser sur l’humanité des Africains ? Et d’ailleurs en quoi consiste-t-elle précisément, cette humanité, et de quelles promesses serait-elle porteuse ?

Fabien Eboussi Boulaga : Ce qui nous alerte, c’est d’abord ce que nous éprouvons, une auto-affection faite de souffrance, de peine, de peur, de colère, mais aussi de joie, d’exaltation. C’est dans notre relation aux autres, y compris à nous-mêmes devenus autres pour nous-mêmes, que nous faisons l’expérience d’échapper à nous-mêmes.
La nomination ou la désignation de “ qui ” et de “ quoi ” peut occulter le caractère relationnel de notre posture et de notre humanité. Celle-ci s’exerce dans et par ses altérations, ses rencontres, ses heurts avec ce qu’elle considère comme son autre, son négatif ou son positif absolu. Les promesses que recèle notre humanité sont toujours hors de nous, ailleurs. La sagesse, dit-on, découvre que “ je est un autre ”, et dans un éclair, que l’ailleurs est ici, que l’instant est dans l’éternité.

Achille Mbembe : Très souvent, les Africains ont posé la question de leur humanité, ce qui la conteste et ce qui la met en danger, en relation à l’Occident. Souvent, ce dernier a d’ailleurs été posé comme l’obstacle premier à notre désir d’“ être par nous-mêmes ” et à notre volonté “ de nous faire ”. Quelle crédibilité faut-il accorder à cet argument ? Est-il seulement productif ?

Fabien Eboussi Boulaga : L’Occident joue le rôle qu’on lui prête parce qu’il est l’autre nous-mêmes comme autre. C’est une des polarités parfois seulement possible, parfois actualisée de nous-mêmes. La dénégation soit de la différence, soit de la ressemblance, fait partie d’une histoire que l’Occident connaît aussi. Cette dénégation, il la connaît sous de multiples figures de son histoire dramatique, parfois tragique, mais aussi sous la forme d’une tension créatrice permanente.

Célestin Monga : Bien avant la mort de Léopold Sédar Senghor, la négritude semblait passée de mode. Pourtant, divers mouvements politico-intellectuels comme la ‘Renaissance africaine’ qui ambitionnent la résurrection du panafricanisme, voudraient en ressusciter quelques variantes. Le postulat de base de ces nouveaux modes de mobilisation est que tous les peuples noirs sont à mettre dans le même panier, qu’ils soient d’Afrique, des Caraïbes, des Antilles ou d’Europe. Que pensez-vous de cette vision des choses ?

Fabien Eboussi Boulaga : La négritude ne pouvait pas ne pas vieillir dans ses expressions elles-mêmes liées à un contexte conjoncturel. Elle a donc plus ou moins vieilli, mais selon la solidité de l’infrastructure conceptuelle qui la soutenait et l’énergie créatrice qui la soulevait. Qui conteste efficacement Aimé Césaire aujourd’hui ? Les tenants de la créolité se provincialisent quand ils parviennent à l’oublier. Les variantes actuelles de la négritude peuvent être une illusion, une sorte de retard ou d’excentricité provinciale. Elles peuvent également être dues à l’absence de sens historique, à la méconnaissance des enjeux du présent dans leur tranchant unique, sans précédent. Il est sans doute plus juste d’y voir un hommage à ce que la négritude visait, au-delà d’elle-même et de ses expressions. Quoi ? Dans l’humanité se faisant, le moment de la négation de l’autre du fait de sa race, de sa couleur, de sa différence est d’une nécessité historique a posteriori. Nous avons là les limites d’un cosmopolitisme abstrait et d’une mondialisation idéologique.

L’essence humaine est celle de “ l’être-devenu ”, comme celle de Socrate est à jamais celle du questionneur inlassable condamné à mort en buvant la ciguë. On peut ajouter que si l’histoire ne se répète pas, la persistance des formes anciennes de la négritude suggère que le contexte de leur validité n’a pas totalement changé. Le rythme de l’évolution des mentalités et des structures de base des économies qui nous régissent situe les enfants des enfants des pères de la négritude dans la même période ou le même cycle historique. A l’intérieur d’un cycle, il y a des répétitions en spirale, et ce qui se produit comme tragédie peut y revenir comme farce.

Célestin Monga : La “ créolité ” a-t-elle une quelconque validité à vos yeux ? Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau mettent en avant le postulat suivant : “ Ni Européens, ni Africains, ni Asiatiques, nous nous proclamons Créoles ”. Cette démarche esthétique, qui vise d’abord à explorer l’antillanité d’aujourd’hui, n’est-elle pas une quête éthique ?

Fabien Eboussi Boulaga : La créolité s’impose d’elle-même comme refus d’un identitarisme qui ne s’obtient qu’en érigeant en trait exclusif, en valeur absolue, une nécessité sans choix des multiples appartenances dont nous sommes les vecteurs. Elle est précieuse comme prise en charge et valorisation des lieux et des relations denses de proximité. L’éthique se soucie du prochain antillais. Sa validité est indirecte dans les relations ténues qu’elle entretient avec moi, avec les confins où opèrent la morale et la dialectique d’Aimé Césaire.

Achille Mbembe : À vous lire attentivement, vous ne préconisez, ni un retour pur et simple à la “ tradition ”, ni un rejet pur et simple de cette dernière. Vous suggérez que nous nous situions en continuité d’humanité avec les ancêtres en faisant de “ la tradition ” une “ utopie critique et mobilisatrice au présent ”. C’est ce que vous appelez “ la dialectique de l’authenticité ”. Pouvez-vous repréciser le rapport entre “ tradition ” et “ utopie ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : La tradition est ce moment où nous posons que ce qui nous est transmis de valeur est marqué du sceau de l’origine insaisissable en elle-même. La tradition est l’origine différée et en différé. Elle est relation à ce qui manque, nostalgie de ce qui est sous le mode de ne plus être. Qu’est l’utopie, sinon relation à ce qui manque, mais pour “ ne pas encore ” être ? Au lieu d’être situé derrière nous comme origine, l’utopie est devant nous comme fin, renouement avec une origine perdue et retrouvée à la fin, comme fin. Tradition et utopie sont une seule et même chose ou fonction considérée de points de vue différents. Le langage métaphysique établit cette équivalence en proclamant : “ Le commencement est la fin ” et réciproquement.

Célestin Monga : Ne pourrait-on pas penser que la tradition est un “ droit de vote ” attribué aux morts ? Obnubilées par le passé, nos sociétés ne finissent-elles pas par porter ce dernier comme un lourd passif ? Beaucoup de jeunes Africains estiment, en effet, qu’il est urgent que les générations actuelles inventent de nouvelles traditions, s’ajustent à l’ici et maintenant, et produisent des cultures qui seraient plus aisément compatibles avec les exigences des temps présents.

Fabien Eboussi Boulaga : Le vote des morts et des bêtes sauvages, c’est l’Afrique de Kourouma. La “ tradition ” est de l’ordre de la dette, de la reconnaissance d’une communauté avec ceux qui sont humains avant nous, sur le même arbre généalogique qui plonge dans la nuit des temps.

Les morts ne décident, n’agissent, ni ne parlent à notre place. J’évite de parler des traditions. Je préfère les mœurs. Elles changent : “ autres temps, autres mœurs ”. Les mœurs ne sont pas créées par les générations. Elles les unissent et les séparent tout à la fois. Les mœurs disent la similarité dans la dissemblance. L’erreur philosophique de la magie est de doter la similarité de la force de la causalité. Avoir la même culture ou des cultures adéquates aux exigences du présent ? Qu’est-ce, sinon mettre la culture en cause, faire de la similarité une cause ? La culture ne se substitue ni à la morale, ni à la politique, bref à l’action. Voir la culture comme source de la Renaissance africaine, c’est prendre un heureux effet pour l’ensemble d’une stratégie avec ses buts, ses actions, ses opérations, ses conflits et ses obstacles surmontés.

Personnellement, je doute que le poids du passé joue un rôle significatif et écrasant en dehors de la préservation et de la reconduction violente des institutions et du système des relations du régime colonial. Le passé, comme tel, n’entre plus dans la structure de l’action. Il conditionne, mais il ne détermine pas. L’action se conjugue au présent.

Achille Mbembe : D’autre part, vous faites valoir que la seule philosophie qui mérite ce nom est celle qui nous permettrait de nous renoncer à nous-mêmes, de mourir à nous-mêmes pour renaître à la vérité. De quelle vérité s’agit-il et comment concilier “ tradition ” et “ renaissance ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : Je doute que je parle de la vérité en un autre sens que celui de cette reprise de soi, de cette liberté de jugement et d’action sur les investissements dans lesquels nous nous trouvons déjà captivés avant de nous y être engagés nous-mêmes. La vérité, c’est nous-mêmes, désarmés, faisant face à mains nues à ce qui se découvre à nous comme notre tâche d’homme seul ensemble avec les autres, proches et lointains. C’est ici que “ tradition ” et “ renaissance ” se concilient. La philosophie ne commence jamais, elle recommence. La vie humaine ne naît pas avec moi, mais elle renaît.

Célestin Monga : Je souhaiterais que l’on aborde un certain nombre d’obstacles politiques et épistémologiques liés aussi bien à l’acte de penser et à la notion d’ “Afrique” qu’aux fonctions mêmes de l’intellectuel. Et d’abord, l’ “Afrique ” est-elle un concept opérationnel valide en sciences sociales ou dans les humanités ? L’épistémologie s’accommode-t-elle des frontières de la géographie ou des notions raciales ? En d’autres mots, existe-t-il des comportements, des manières d’être, de faire ou de penser qui soient spécifiquement “ africains ”, voire une philosophie, une science politique ou une économie typiquement “ africaines ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : Ce que j’ai suggéré plus haut postule et/ou implique que l’Afrique est un “ construit ”. Je dis quelque part que c’est une idée neuve posée par ceux qui décident de faire de cet espace géographique le lieu de leur orientation dans le monde et où ils inscrivent leur destinée. Ce qui m’apparaît comme une exploration encore plus excitante, c’est de “ penser spatialement ”, de substituer, à titre d’expérience de pensée, en tous les cas où l’opération est possible, l’espace au temps.

Au lieu du Sein und Zeit, esquissons un Seit und Raum. Le problème du spécifiquement africain s’écroule alors de lui-même sans faire place à l’universellement abstrait qu’on lui oppose. C’est une des issues des faux dilemmes où nous nous enfermons et qui nous paralysent. Nous ne pensons plus le contraire ou l’inverse, nous pensons autrement. Nous répondons que nous comprenons ces manières de penser, mais que ce n’est pas ainsi que nous réfléchissons et nous nous posons les problèmes. Ce n’est pas ainsi qu’ils nous viennent “ à l’idée ”.

Célestin Monga : Dans l’éditorial que vous écriviez alors pour le premier numéro de la revue Terroirs en 1993, vous expliquiez déjà que les ‘élites’ et les ‘guides’ qui nous ont conduit à la famine, à l’exode, à l’abjection de la misère et de l’assistance internationale sont des gens de bonne compagnie, doués d’astuce, plein de ressources et de savoirs. Vous disiez même qu’il ne faut pas hésiter à leur accorder une intelligence supérieure qui, dans l’environnement des relations humaines, démontre leur sens de l’opportunité, leur maîtrise des tactiques offensives et défensives en vue de leur propre survie et de l’accaparement du pouvoir. Pourtant, vous affirmiez également : “ La racine du mal africain est l’absence de pensée. ” Croyez-vous que ceux qui ont suffisamment d’intelligence pour conceptualiser l’appareil répressif soient aussi allergiques à la pensée ?

Fabien Eboussi Boulaga : Il y a diverses formes d’intelligence. On rappelle ce fait d’expérience aux pédagogues comme nécessaire pour amener chaque individu à se développer jusqu’au point où il pourra collaborer de façon fructueuse avec les autres. La fin est ici d’être parvenu à reconnaître ses limites et à voir qu’elles se dépassent grâce aux autres qui sont différemment limités. Le premier déficit de pensée est la méconnaissance intellectuelle et pratique de cet horizon de totalité, où l’absence de décentration conduit à l’exaltation de son individualité et à l’absolutisation de sa particularité.

La pensée est la reconnaissance du “ Connais-toi toi-même ” comme mortel. Le moderne appréhende mieux l’absence de pensée en comprenant l’intelligence comme l’ensemble de “ ruses ” dont sont capables les prédateurs que nous avons longtemps été, que nous pourrions être, et que nous sommes encore, pour notre survie, la défense et l’attaque. Toutes les technologies dérivent de cette nécessité de parer aux agressions, d’appliquer efficacement une énergie à une adversité à transformer, à détourner ou à capter, à instrumentaliser.

La pensée est alors la faculté de l’inutile, de ce qui est poursuivi pour la beauté ou l’existence de lui-même, y compris notre existence qui ne sert à rien. La pensée est donc cette capacité à revenir à soi décentré, à être sans jalousie, comme la divinité, en paix et joie avec soi et avec les autres. Dans cette terminologie, il n’est que tautologique de dénier la pensée à l’intelligence prédatrice. Malgré sa sophistication, elle ne se dégage pas du règne reptilien paléontologique.

Célestin Monga : L’écrivain nigérian Chinua Achebe met en garde les intellectuels africains contre la tentation de se croire propriétaire d’un savoir et de vouloir légiférer au nom du continent. Quelle est, d’après vous, la fonction d’un intellectuel dans le contexte africain actuel ?

Fabien Eboussi Boulaga : L’écrivain nigérian a raison. On ne s’autoproclame pas intellectuel. L’intellectualité n’est pas une propriété privée individuelle. Elle ne fonctionne que là où la connaissance est reconnue comme une valeur irréductible parmi celles qui structurent une communauté humaine, à côté de quelques autres tout aussi irréductibles comme le pouvoir, la richesse, la poésie, la ritualité ou l’étiquette. C’est dans une synergie avec ces autres valeurs que la connaissance développe une éthique et une esthétique de la pensée comme sa contribution spécifique à l’aventure commune de vivre et de mourir en humains.

On peut donc dire qu’il n’y a pas d’intellectuels opérationnels là où une société ne reconnaît pas l’intelligence comme valeur structurante irréductible. C’est là un radotage pour ceux qui me fréquentent. Le rôle de l’intellectuel est de démontrer la nécessité de la fonction de l’intelligence et son caractère irréductible face au pouvoir et à l’argent ou à la richesse.

Achille Mbembe : Vous êtes de ceux qui ont sans doute articulé la critique africaine la plus radicale du christianisme. Vous avez voulu croire qu’il était possible pour les Africains de “ croire autrement ” au sein de l’Eglise. Vous vouliez fonder une critique et reprise du christianisme qui aurait remis le dogme à sa place et qui aurait libéré un espace pour une pratique de la foi qui soit en même temps une pratique de la liberté, à l’écoute des problèmes réels de l’existence africaine. Comment, d’après vous, se pose aujourd’hui la question de Dieu et du dogme en Afrique ? Les pratiques du religieux que l’on observe ici et là semblent s’exercer dans un contexte culturel où la vieille opposition du vrai et du faux, de la vérité et de l’erreur ne joue plus les mêmes fonctions qu’auparavant. Aujourd’hui, chacun est plus ou moins libre de créer son église et de se déclarer prophète au nom de la foi et de la “ vérité ”. N’assistons-nous pas à l’implosion du dogme lui-même ? Compte tenu de la prolifération des instances de vérité, comment articuler une nouvelle critique politique du christianisme en particulier ?

Fabien Eboussi Boulaga : Premièrement, “ croire autrement ”, c’est se refuser de tenir le contraire de ce qui est cru par les autres, de se contenter de le défendre, d’en faire l’apologie ou de le maintenir grâce à un art de l’interprétation. Deuxièmement, “ croire autrement ” peut être de l’ordre de la description. Il y a des christianismes ou des façons de se comprendre chrétien autrement qu’à travers la grille des dogmes et des pratiques convenus, parfois sans églises. Qu’est-ce alors croire ? Troisièmement, quelle explication ou interprétation peut-on donner aux dogmes dans ces cas de figures ? Partir des dogmes pour se prononcer sur leur éclatement, c’est leur donner une valeur normative en vigueur dans son point de départ, mais ce n’est pas comprendre à la manière de ce qui n’est un point d’arrivée que par une pétition de principe. Dieu et les dogmes surgissent ou ne surgissent pas dans les indéfinies reconfigurations du christianisme.

Celle de l’ouvrage Christianisme sans fétiche en est une parmi d’autres et contient son propre système d’inférences et de justifications. Pour le reste, le vrai et le faux n’ont pas la même signification dans les religions ou les idéologies que dans la vie ordinaire ou les pratiques discursives scientifiques. Dans les religions, ils sont une déclaration d’appartenance, d’inclusion ou d’exclusion. Ils ont donc une valeur performative, sacramentelle puisque faisant ce qu’ils signifient. Ils ont trait à ce qui rend possible le vrai et le faux des autres régimes. La profession ou la déclaration du vrai et du faux est auto-implicative : il y va du sens de la vie et de la mort de celui qui la prononce.

Achille Mbembe : Il est de nombreux passages de votre livre Christianisme sans fétiche où vous plaidez en faveur d’une forme de spiritualité attentive à la dramatique de la mort et de la vie et aux conditions de genèse de l’homme. D’ailleurs, au détour d’une réflexion sur la puissance transfigurante du Christ, vous vous livrez à une fascinante méditation sur le thème de la mort. Je voudrais que nous nous attardions sur ce thème en particulier en examinant, non pas les rapports entre la mort et la foi, mais entre la mort et le politique. Quels sont, dans l’Afrique actuelle, les “ lieux de mort ” qui devraient nous interpeller le plus ? Quel est le type de parole qui émerge de ces lieux et à quelles conditions cette parole pourrait-elle constituer le fondement d’une pratique spirituelle pour les temps qui sont les nôtres ?

Fabien Eboussi Boulaga : Dans Christianisme sans fétiche, il y a une injonction à arracher le mythe de l’imaginaire en l’historicisant et en le politisant. C’est par là qu’on retrouve la puissance universelle de ce qui risque d’être emprisonné dans les catégories appauvrissantes de l’entendement, sans l’horizon de la pensée régulatrice et dérégulatrice des représentations et des constructions de celui-là.

Le mal propre du politique est la malemort qu’il inflige dans une configuration où le meurtre, le mensonge et le vol (l’expropriation sous toutes formes) font corps ou système et sont comme institués. Les lieux de cette mort insensée sont : a) dans la parole vidée de ses fonctions d’élucidation, de connaissance et d’engagement par la promesse, le serment. Il en résulte l’empire du faux, quand le mensonge se fait monde ; b) dans l’expropriation, la privation et la destruction des capacités humaines de se construire ensemble avec les autres.

La multiplication des morts vivants, des zombies situés en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire dans la misère, sans possibilité d’accès au répit du combat harassant contre la faim, la maladie, l’ignorance, de manière à se poser les questions “ inutiles ” de la valeur, de la différence des genres de vie possibles : voilà ce qui crée les hommes superflus et éliminables par des choix ou l’absence de choix stratégiques, par la porte grande ouverte à la corruption, à la prédation généralisée. Le meurtre chaud ou froid, direct ou indirect qui en résulte est devenu mode de gouvernement. Il est dérisoire et cruel de se gargariser de discours sur la démocratie, les droits de l’homme, dans une culture de la mort dévaluée d’hommes superflus et encombrants.

Célestin Monga : L’idée d’une dévaluation de la mort est particulièrement intrigante et nécessite quelques développements. Ne peut-on pas penser que l’équivalence générale entre la mort et la vie conduit beaucoup d’Africains de toutes les couches sociales au désespoir et au suicide par inaction ? La mort peut-elle servir d’épouvantail aux millions d’enfants que le pouvoir politique condamne à la violence et à l’errance ?

Fabien Eboussi Boulaga : Il n’a jamais été bon de se servir de la mort comme épouvantail. Il me semble que cette manière de faire malsaine n’a jamais été d’une efficacité durable. Le spectacle désolant de nos morts innombrables ne fait pas naître nécessairement le courage et la pitié. L’accumulation des statistiques des catastrophes avec leurs victimes est une abstraction qui touche seulement le petit nombre de ceux qui se croient investis d’une mission de sauver nos sociétés. L’action commence toujours par elle-même, comme la liberté, me semble-t-il. Tout le reste est une forme de résignation, devant ce bloc opaque que vous nommez le pouvoir politique.

Achille Mbembe : Un dernier mot sur votre tentative de démythologisation du christianisme. Vous semblez n’accorder – du moins dans Christianisme sans fétiche - qu’une place limitée au motif de la “ résurrection ”. Pourtant, le thème de “ la vie qui donne sens à la mort ”, et de “la mort qui transforme la vie ”, de la mort comme “nécessaire à la vérité de la vie et comme source de solidarité, de communication et de réciprocité entre les vivants ” - tout cela parcourt très profondément votre méditation. Dans le contexte actuel, quelles formes pourrait prendre une critique du politique ayant précisément pour pierre angulaire ce souci de la vie ?

Fabien Eboussi Boulaga : Cette question appelle une explicitation du rapport de la mort à la vie, du rôle transformateur de la mort, de sa fonction de solidarisation des vivants et de médiation de leur communication, d’opérateur de leur réciprocité. C’est là un vaste programme, celui d’une anthropologie de la mort revisitée. Quelques uns de ses éléments et de ses jalons sont présents dans Christianisme sans fétiche et dans quelques esquisses ultérieures, tout comme ce qui en découle : une critique du politique, avec pour critère de base sa capacité ou son incapacité à promouvoir les conditions d’une vie sensée.

L’axiome inspirateur de cette critique est qu’une communauté humaine se comprend comme constituée de vivants et de morts, de visibles et d’invisibles. Le souci de la vie devient névrotique s’il n’est pas en même temps souci de la mort et non sa dénégation. Cette loi vaut pour les peuples qui l’objectivent et pour les individus qui la subjectivisent. Les morts, sous des formes variées (les “ valeurs ” entre autres), sont les tiers invisibles et inclus, qui permettent le jeu humain de la réciprocité et de la médiation.

Célestin Monga : Les philosophes comme Daniel Dennett et certains historiens affirment que l’avènement de la religion est en réalité un phénomène relativement récent dans l’histoire de l’humanité. En fait, presque aucun chercheur ne prétend que l’homme du Cro-Magnon ou du Neandertal était particulièrement spirituel. L’on observe aussi une absence totale de corrélation entre la ferveur religieuse qui met en transe des centaines de millions d’hommes et de femmes en Afrique, dans les Amériques et en Asie, et le niveau d’exigence éthique validé par les populations de ces régions-là. Au Cameroun en particulier, j’observe par exemple que les gestionnaires de fonds publics qui ont le plus de choses à se reprocher sont aussi ceux qui se bousculent tous les dimanches au premier rang dans les églises. Comment expliquez-vous ce paradoxe ? Comment comprendre d’un coté le désir de Dieu qui semble inspirer tant de monde et, de l’autre, le besoin de péché et l’absence de spiritualité dans les actes de la vie quotidienne ?

Fabien Eboussi Boulaga : La définition de la religion comme communauté des vivants et des morts avec leurs relations et leurs transactions supposées est aussi vieille que l’homo sapiens ! Il ne faut pas être spirituel au sens parfois éthéré de certains modernes pour enterrer ses morts, leur réserver une place vide, leur adresser des paroles et des signes, se croire le véhicule de l’invisible ou possédé par un génie, un dieu, proférer des paroles qui tout en émanant de vous, nous dépassent et nous constituent. La religion n’est pas la décence civilisée et bourgeoise. Elle comprend la notion de sacrifice (pour le meilleur et pour le pire). En effet les raisons sacrées ou divines de vivre valent plus que la vie.

La religion est aussi crainte et tremblement. Elle n’est pas toujours synonyme de paix. Ce que vous décrivez, c’est la religion comme superstition ou névrose, scrupule qui accumule des garanties qui appellent sans fin d’autres garanties, dans un infini qui est indéfini. Les religions comportent leurs maux spécifiques. L’hypocrisie en fait partie ainsi que l’intoxication de soi et l’idolâtrie sous toutes ses formes. Voilà pourquoi il est permis de les juger, par leurs conséquences profanes, les plus petites pour l’homme du commun. Il est aussi salubre de les comprendre à partir de ce qu’en fait l’homme qui, tout en reflétant un monde sans âme, exprime dans un seul et même mouvement. Ici aussi, la religion du pauvre n’est pas celle du bourgeois et du puissant satisfait. L’équivoque frappe les mots communs qu’ils prononcent, pour le pire et, parfois, pour le meilleur.

Célestin Monga : Restons, un moment, dans le registre de l’actualité immédiate. La globalisation (mondialisation) est de plus en plus contestée, parfois par ceux-là même qui tirent profit des avancées scientifiques et des progrès technologiques qui stimulent ce processus. Comment vous situez-vous par rapport au mouvement anti-mondialiste ? Le libéralisme économique est-il un mal absolu pour les sociétés africaines ?

Fabien Eboussi Boulaga : L’homme ordinaire ne rencontre pas la mondialisation, mais les individus, les objets dont il trouve l’usage intéressant en certains cas où ses tâches en sont facilitées. Il est face à des institutions dont les règles peuvent l’aider à certains égards et l’entraver à d’autres. Il n’est pas soustrait à des relations, à la gestion des proximités qui ont leur propre poids.
Les anti-mondialistes sont nos alliés quand ils éveillent notre sens critique, qu’ils nous alertent contre la croyance que le développement exhibé par les pays qu’on dit les plus avancés, les plus puissants, est devenu le dernier mot de l’histoire. Les choses sont ce qu’elles sont, dit-on. D’accord, mais elles auraient pu être autrement. Nous pouvons et devons participer à une aventure encore ouverte, sans derniers ni premiers, celle qui sera précisément une œuvre commune.

Célestin Monga : Vous avez écrit récemment à propos de ceux qui tentent de définir le “ terrorisme ” et souligné le fait que ce phénomène reflète d’abord un “ conflit d’anthropologies ”. Traitant du “ terrorisme ”, comment peut-on éviter à la fois la tyrannie de l’opinion majoritaire en Occident (“ l’émotion répulsive universelle ” comme vous le dites) et le relativisme cynique de ceux qui voudraient moraliser la violence contre les innocents au nom d’une certaine figure de la loi du Talion ?

Fabien Eboussi Boulaga : Une certaine conception voudrait que l’histoire soit une succession où les dominés d’hier deviennent les dominants d’aujourd’hui ou de demain, et où les victimes d’hier doivent se rendre capables de devenir les persécuteurs d’aujourd’hui. De cette façon de voir naît l’ambition d’arrêter l’histoire, de constituer une domination perpétuelle de ceux qui ont la puissance du moment.

Le “ terrorisme ” peut servir d’épouvantail et servir ce dessein de stabilisation par la guerre préventive. “ Terrorisme ” et “ contre-terrorisme ” participent de la même philosophie de l’histoire. La lutte pour ou contre “ la civilisation ” allègue la transcendance des fins. Selon Aristote et le bon sens, on est toujours d’accord sur les fins, le désaccord est sur les moyens de ces nobles fins.
Soucions-nous de la survie de ceux qui meurent des famines, des guerres et des maladies par millions, de la mort à bout touchant par le paludisme, le sida, les effets de la corruption de ceux qui gouvernent le monde et leurs fondés de pouvoir locaux. Alors, peut-être, le problème du “ terrorisme ” nous apparaîtra sous un autre jour.

Célestin Monga : Les formes dans lesquelles s’énoncent nos manières d’exister et d’agir évoluent constamment. Les vecteurs d’expression que nous utilisons dépendent parfois du rapport de forces sociales, des urgences et des impératifs du moment. Par tradition, l’écriture a toujours eu une longueur d’avance sur les autres modes d’expression de la pensée. Pensez-vous que la musique, les arts plastiques ou même le sport soient devenus aussi des lieux d’énonciation d’une exigence éthique et esthétique ? Vous arrive-t-il d’ailleurs de regarder des matches de football à la télévision ?

Fabien Eboussi Boulaga : Il n’est pas difficile de vous concéder que la littérature de fiction ou la poésie ont été plus loin et plus vite que les idéologues. La musique plus clairement encore, est un lieu de créativité incontestable. Je participe assidûment et avec plaisir au phénomène mondial du football. On peut en faire des lieux exemplaires et proposer en modèle la discipline et les modèles qui y ont cours. Je crains cependant que ce ne soit un moralisme facile, sans la moindre garantie d’avoir un effet d’entraînement. Le passage à l’action et au monde de la conflictualité politique, économique et sociale est passage à un autre ordre.

Achille Mbembe : Je voudrais que nous revenions sur un des aspects qui, me semble-t-il, a toujours constitué la ligne de force de votre réflexion : la question de la transformation de la vie et de la genèse de soi. C’est ainsi qu’au début des années quatre-vingt dix, vous vous êtes intéressé au phénomène des “ conférences nationales souveraines ”. À travers elles, c’est la question du possible avènement, dans l’histoire africaine, de ce que l’on pourrait appeler “ une relation de liberté ” qui préoccupait le philosophe. Qu’est-ce qui reste, aujourd’hui, de cet événement ? Pour advenir à cette relation de liberté et renaître au monde, l’Afrique ne doit-elle pas, au préalable, avoir vaincu la peur de la mort ?

Fabien Eboussi Boulaga : La banalisation de la mort est aujourd’hui notre expérience la plus quotidienne et la plus destructrice. L’Afrique s’est bâtie dans la rareté de la vie qui faisait le sérieux de la mort, d’hommes surabondants des explosions démographiques non contrôlés et de la misère des guerres barbares, avec leurs seigneurs triomphants, leurs enfants sanguinaires, massacrés et mutilés tous ensemble.

Nous méprisons la vie plus que nous ne craignons la mort. Nous tournons en dérision ou nous tenons pour rien la mort des autres.
J’ignore si ceci est un prélude clair à une renaissance, sauf si par là nous avons atteint le fond de l’abîme. Des conférences nationales, il reste un goût d’inachevé. Aucune d’elle n’a sondé les abîmes qu’elle a ouverts sur un mode de gouverner par le meurtre, la torture et la terreur. L’Afrique du Sud est-elle l’exception qui confirme la règle ? Je ne sais.

Achille Mbembe : S’agissant précisément de la culture de la dérision, l’écrivain Sony Labou Tansi avait coutume de dire qu’il avait “ la curieuse impression que l’Africain se joue la comédie à vie ”. Que cette comédie fut dramatique ou tragique, elle était, de toutes les façons, du moins à ses yeux, une comédie. Partagez-vous ce point de vue ? Si oui, comment expliquez-vous ce côté théâtral de notre vie ?

Fabien Eboussi Boulaga : À quelle expérience de l’Afrique se réfère l’écrivain Sony Labou Tansi ? À la Brazzaville qui conjugue allègrement la sape, le meurtre, la danse, un hédonisme rentier et irresponsable de ses chefs et de ses élites ? Toute société détachée du travail productif qui s’en remet à des puissances tutélaires visibles et invisibles tombe en décadence et dans le jeu tragique. L’Afrique ne survit que parce que le fond de la vie n’est pas théâtre. Mais elle engendre, dans ses marges, une classe d’esthètes, de joueurs et de jouisseurs. Enfin, elle a un mode de faire face à l’adversité qui ne répond pas aux normes attendues. Le drame de ceux qui nous veulent du bien n’est-il pas, selon vous-mêmes, qu’ils savent ce qui doit être sans savoir ce qui est ? Comment dériver l’être du devoir-être ? Pourquoi ne pas tirer légitimement son possible de son être ?

Achille Mbembe : À votre avis, à quoi est dû le fait qu’une énorme part de notre vie n’ait guère trouvé place dans nos récits, dans notre écriture et dans notre pensée ? Est-ce un problème de langage ?

Fabien Eboussi Boulaga : L’art de dire ou de raconter quelque chose qui arrive à quelqu’un en fonction de la “ nature ” de ce quelque chose, de ce quelqu’un, dans le lieu et le moment indiqués, est la chose la mieux partagée. Les récits innombrables prennent en charge une partie infinie du flot continu de ce qui arrive et nous arrive. Le déficit d’expression dont vous parlez est mesuré par les normes idéales d’une performance propre à une mince couche sociale censée “ écrire ” et “ penser ”. Pour qui écrit-elle ? De qui veut-elle être reconnue ?

L’écriture est serve ou captive quand elle privilégie ce qui doit être au détriment de ce qui est ; quand elle souscrit aux exigences sournoises du “ développement ”, de la “ croissance ”, de la “ démocratie ”, du “ marché ”. Elle est sous surveillance, un procès de dénigrement de soi, de victimisation de soi, ou d’apologie. Cette condition empêche la venue au langage lettré ou savant de ce qui se raconte au quotidien et constitue son arrière-plan. Mais cette rumeur ambiante a sa propre vie. Elle n’est pas une matière première en attente d’un démiurge qui la transforme en or dans la foire des échanges et pour la bourse des valeurs d’une culture cosmopolite et néanmoins dominante.

Achille Mbembe : Arrêtons-nous, précisément, sur cette “ mince couche sociale ” censée ‘écrire’. Si vous le voulez bien, laissons de côté, du moins pour l’instant, les problèmes d’audience et de reconnaissance que vous soulevez à juste titre, ou encore ceux qui ont trait à la vie du langage et à la question des valeurs. Pendant longtemps l’acte d’écrire, en Afrique, semble avoir eu partie liée avec une certaine économie de la subversion. C’était notamment le cas pour votre génération – celle qui a produit des romanciers comme Mongo Beti. À votre avis, que subsiste-t-il de la fonction subversive de l’écriture aujourd’hui ? Le rapport de quasi-équivalence établi par votre génération entre écriture et messianisme/prophétie peut-il encore servir de point de départ à la critique esthétique dans l’Afrique contemporaine ?

Fabien Eboussi Boulaga : Dans la littérature africaine, il y a des discours prophétiques relevant de messianismes religieux ou laïcisés. Des poètes de chez nous se sont pris pour des mages à l’instar de ceux du romantisme européen. Beaucoup plus nombreux sont les écrivains qui se sont vus comme les porte-parole et les porte-étendards des souffrances, des aspirations, du génie de leurs peuples. D’autres se sont inscrits dans le sillage de l’idéologie émancipatrice de la philosophie des Lumières ou de celle des socialismes. Je doute que le rapport à l’écriture ait été dominé par le prophétisme. L’écriture a été principalement accès au cercle dominant, à certains de ses avantages et de ses immunités marginales. La critique de l’esthétique peut commencer utilement par des questions simples du genre : à quelles contraintes obéissent aujourd’hui les industries culturelles ? À quel public s’adresse l’auteur et pour qui écrit-il ? Qui achète le livre et qui le lit ? Elles pourraient conduire au cœur du problème.

Achille Mbembe : Vous vivez dans un “ lieu ” (le Cameroun) où, de l’avis des Camerounais eux-mêmes, l’impression est que la grimace fait loi. À supposer que cela soit vrai, quelles conséquences cela a-t-il sur votre corps et sur votre système nerveux ? Comment vit-on au milieu de la bêtise et de la grimace sans succomber à la tentation qui consisterait à la contempler, à se laisser fasciner par elle, ou encore à la mimer en s’y abandonnant ?

Fabien Eboussi Boulaga : Chacun peut s’inventer une hygiène mentale de sa façon. On peut se donner pour règles de conduite générale les maximes suivantes. La première emprunte à Hegel. Elle stipule que le penseur digne de ce nom n’est pas celui qui se croit meilleur que son temps. La deuxième est un pari rationnel qui se formule comme suit. Dans une situation où l’on croit que “ les fous dirigent les sages, c’est la conduite des sages qu’il faut changer pour éviter ou limiter les catastrophes, car c’est sur elle qu’il est possible d’agir ” (J.-P. Derriennic).

Achille Mbembe : Parallèlement à ce “ souci de soi ”, vous évoquiez il y a quelques années trois ou quatre piliers anthropologiques possibles d’une politique africaine de la vie et de la démocratie : la guérison et la fête, les âges de la vie, le lien des générations. Pourquoi estimez-vous que l’on dispose là des éléments pour une reprise critique de ce que l’on pourrait appeler “ l’humanisme africain de demain ” ?

Fabien Eboussi Boulaga : Très brièvement et en énigme - parce que ces piliers indiquent la région de la réciprocité des vivants et des morts, celle du don sans contrepartie marchande, notamment celle de la transmissibilité de la vie humaine, dont nul n’est le père ni la mère. Bref, ces “ piliers ” sont ceux d’une anthropologie où l’on ne définit ni l’homme, ni la liberté comme celui ou ce qui est propriétaire de soi et de ses appropriations.

Entretien avec :
- Achille MBEMBE, Professeur d’histoire
et de sciences politiques à l’université du Witwatersrand (Johannesbourg) et directeur de recherche à la Witwatersrand Institute for Social and Economic Research
(WISER) – auteur de De la postcolonie (Paris, Karthala, 2000).
- Célestin MONGA, Lead Economist
et conseiller du premier vice-président de la Banque mondiale (Washington)

Source : Le Messager
 

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