Photo: Ernest Ouandie - Marthe Moumie - Abel Kingue
Citoyens libres ou esclaves ?
Cet article rédigé au maquis le 20 mars 1962, par le martyr de l’indépendance totale du Kamerun Ernest Ouandié a paru dans La Voix du Kamerun des mois de juin-juillet 1962. Arrêté, puis condamné, Ouandié sera exécuté sur la place publique à Bafoussam le 15 janvier 1971. Dans cet article digne d’un héros, il dénonce les atrocités du régime Ahidjo et fustige les assassins, criminels et tous les fantoches à la solde de ce dernier. C’est un cri du cœur, révélateur d’une réelle patriotisme, que l’on peut déceler à travers ces lignes pathétiques. Certains barbouzes de l’époque, encore en service aujourd’hui, sont ciblés par cet article et une lumière éclaboussante jaillit sur leur véritable nature. Un vrai témoignage !
S’il est déjà très grave d’avoir des esclaves, il n’y a rien de plus grave que d’avoir des esclaves et les appeler citoyens. A quelques mots près, c’est en ces termes qu’un philosophe étranger dénonçait il y a plus de deux siècles l’hypocrisie manifeste des régimes d’oppression en matière de conception de la liberté des peuples.
Oui, ces lignes datent de plus de deux ans, et aujourd’hui pourtant, elles demeurent d’une brûlante actualité pour notre pays et son peuple. En effet, deux ans après l’accession du Kamerun à l’indépendance juridique, plus les fantoches multiplient les discours dans lesquels ils veulent se poser en ”libérateurs suprêmes” du peuple kamerunais, et moins ce peuple croit à sa libération.
Journellement pillé, dégradé et torturé comme hier sous le régime colonial direct, il se rend bien vite compte que la mise sur pied d’institutions ironiquement baptisées nationales n’a pas résolu et ne pouvait résoudre dans les conditions que l’on sait, le grave problème de fond qui demeure toujours posé, celui de notre libération totale du joug de la domination étrangère. Les colonialistes franco-britanniques sont ”partis pour rester”.
Le Kamerun ”indépendant” continue dès lors à être dirigé de l’extérieur, cette fois par l’intermédiaire d’une poignée de gouvernants autochtones vendus corps et âme aux puissances coloniales à qui ils doivent d’être provisoirement imposés à la tête de notre pays. Oui, les Ahidjo, Arouna, Assalé et autres Foncha que l’ironie du sort maintient encore à la direction des affaires nationales, sont des hommes préposés à la liberté mais qui ont malheureusement, pour un plat de lentilles, renoncé à cette liberté et prêté serment de servir loyalement jusqu’à la mort l’impérialisme international dirigé par les Etats-Unis d’Amérique.
Il n’est donc pas surprenant que ces ”esclaves volontaires coiffés du casque de l’Indépendance” affichent, comme leurs maîtres, un mépris révoltant pour le peuple dont ils piétinent les droits et libertés les plus élémentaires à longueur de journée.
Un gouvernement d’assassins
Au fil des jours, tout le monde réalise que c’est un gouvernement d’assassins que les néocolonialistes français et américains ont installé à Yaoundé, à la faveur d’une terreur militaire digne des seuls régimes fascistes. Les tragiques événements qui ont en particulier marqué le mois de février dernier en ont apporté la preuve supplémentaire.
Une fantaisiste histoire de ”ralliement” ou un ”démenti” tardif et embarrassé parviendront difficilement à masquer la vérité.
1) Criminelle asphyxie
Depuis le début de cette année, les maquis de Douala déploient des activités intenses ; celles-ci ont fait écho auprès des détenus politiques de la localité qui y trouvent naturellement un réconfort moral à l’idée de savoir que la lutte pour le triomphe de leur idéal de liberté, de justice et de progrès se poursuit. Les fantoches alertés par leurs services n’ont qu’une idée : éloigner les détenus de Douala et les envoyer à Mokolo, citadelle de la répression, de la torture, de la mort lente et des exécutions sommaires. Le 1er février donc, 57 détenus politiques extraits de la prison de Douala sont parqués dans un wagon généralement affecté au transport des marchandises et dépourvu de toute ouverture.
Sous prétexte d’éviter d’éventuelles ”évasions” des détenus au cours du voyage, le wagon déjà imperméable à la moindre parcelle d’air sera hermétiquement fermé et plombé au départ. C’est dans ces conditions d’insalubrité totale que nos camarades sont condamnés à effectuer un parcours de 38 kilomètres dans un train qui mettra au moins 15 heures pour arriver à Yaoundé, première escale d’un voyage hélas ! sans retour pour la plupart d’entre eux.
Soulignons en passant que du seul fait qu’ils étaient des patriotes, nos camarades n’ont même pas eu droit au minimum de mesures hygiéniques généralement prises en faveur des animaux voyageant en chemin de fer.
Déjà extrêmement mal nourris, les détenus avaient tous une santé précaire et étaient dès lors physiquement incapables de résister plus longtemps à une quelconque épreuve de force.
Voilà qui explique et justifie l’inquiétude, disons même l’angoisse de la foule qui à Douala assiste au départ des camarades, malgré la discrétion dont on a voulu entourer la cynique opération.
Lorsqu’enfin s’ouvre à la gare de Yaoundé le fameux wagon N°31 047, 25 détenus politiques gisent sans connaissance sur le plancher, victimes d’une asphyxie criminelle soigneusement organisée par les services judiciaires d’Ahidjo et Arouna Njoya. Les 32 autres visiblement à bout de forces ne ”tiennent” plus que par miracle. Ils sont transportés à l’hôpital où 2 d’entre eux à peine arrivés succombent à leur tour. C’est la panique totale dans les milieux fantoches qui organisent l’habituelle conspiration du silence autour du drame.
Mais que vaut le secret dans un ”gouvernement” qui en public, donne l’apparence de l’unité et de la cohésion alors qu’en réalité il est miné par de profondes dissensions internes ?
A la faveur de cette situation, la tragique nouvelle a transpiré et s’est répandue à travers le pays comme une traînée de poudre grâce au peuple qui veille malgré les rigueurs du régime policier. Dépassé par les événements, le ”gouvernement” ne peut plus persister dans son silence complice ; plusieurs jours se sont déjà écoulés lorsqu’enfin il se décide à faire publier par Radio-Yaoundé un communiqué à la fois vague et embarrassé, sur la cruelle disparition de nos camarades : les fantoches croient réussir à contenir la colère du peuple devant leur nouveau crime en annonçant à la fin du communiqué l’ouverture d’une information judiciaire. Il s’agit en fait d’une véritable campagne de mystification.
En effet, quelques jours après cette annonce, le 18 février plus précisément, un journaliste européen, prêtre de son état, publie un article avec force détails sur la tragédie du train : cet article versé dans le dossier de l’affaire aurait pu dans une certaine mesure aider l’information judiciaire à avancer ; mais à la stupéfaction générale, le journaliste a été expulsé du Kamerun et le numéro de ”L’Effort Camerounais” comportant son article saisi par les autorités néocolonialistes. Ces mesures arbitraires ont mécontenté même certains suppôts du régime : c’est le cas par exemple du Dr Aujoulat ”ange gardien de la France au Cameroun” et par excellence directeur de conscience d’Ahidjo !…
Comme le relève l’ ”Effort camerounais” dans son éditorial du 25 février ”ces mesures qui nous touchent douloureusement”, ne visent pas seulement à étouffer littéralement la liberté d’information, mais elles ”viennent en réponse à la décision de Monseigneur l’Archevêque de Yaoundé de célébrer, en sa cathédrale, un office funèbre pour les 25 morts du train de Douala”. Elles prouvent avec éclat que le ”gouvernement” n’entend pas situer les responsabilités que d’aucuns portent manifestement dans la troublante affaire du wagon n° 31.047. Il a au contraire intérêt au silence pour se couvrir et couvrir ses services.
Lorsque les pressions exercées dans ce sens n’épargnent même pas l’Eglise, que peut-on encore espérer de l’issue d’une information judiciaire ouverte et conduite par des juges qui attendent du pouvoir en cause leurs salaires et leurs avancements ? Au fond, une enquête est-elle même vraiment nécessaire ?
Après avoir dénoncé hier, la mort de Laurent Belibi, assassiné par un élement de la garde présidentielle devant le Palais d’Ahidjo, Ernerst Ouandié fustige les manigances diaboliques de deux députés, Ekwabi et Makota, décidés d’en finir avec les Bamilékés.
Quand les dirigeants de l’U.C se défendent de tribalisme et prêchent l’unité
Depuis plusieurs mois, la région du Mungo est le théâtre de massacres collectifs de paisibles citoyens. Ces assassinats précédés des pillages de récoltes et autres biens des innocentes victimes, sont suivis des incendies de leurs habitations. Ils sont dirigés dans la presque totalité des cas contre des citoyens coupables du seul ”délit” d’appartenir à telle ou telle tribu. Ils s’inscrivent dans le cadre de la politique tribaliste qui caractérise tous les actes des dirigeants de l’U.C.
En 1960, cette politique aboutit à l’effroyable incendie de tout un vaste quartier à Douala. Ce crime fut commis, on s’en souvient, par les éléments réactionnaires déchaînés du Nord-Kamerun se réclamant du président de l’U.C. Il souleva par son ampleur et par les lourdes pertes en biens et en vies humaines qu’il occasionna, la réprobation quasi-unanime du peuple kamerunais.
M. Ahidjo et tous les dirigeants de l’U.C. gardèrent quant à eux un silence pour le moins approbateur, puisque les criminels prétendaient que le quartier Congo était le refuge par excellence des “terroristes”.
Un tel silence approbateur ne pouvait qu’encourager des éléments conservateurs qui se refusent à voir le problème posé sous son double aspect politique et national et en font plutôt une affaire qui intéresserait exclusivement les Nord-Kamerunais et Bamilékés. Aussi ont-ils tout récemment transporté l’étrange combat dans le Mungo avec pour premier théâtre Nlohé. Là, en effet, au cours du mois de décembre 1961, informés qu’une unité de l’Alnk venait d’opérer dans les parages, cent Haoussas venus qui de Loum, qui de Mbanga, qui de Penja tirèrent ”dans le tas” au moyen de leurs flèches empoisonnées sur les Bamilékés.
“L’Essor des jeunesse” dans son numéro de janvier 1962 donne en ces termes le bilan du drame : ”Moins une quinzaine de maisons, tout est rasé : sinistre effacement d’un groupement de 10 000 âmes ! 400 personnes environ seraient parties ad patres… R.I.P.”.
Preuves écrites
Ici encore, comme 1960, M. Ahidjo et tous les dirigeants de l’U.C. sont restés muets comme des carpes. Nous les comprenons. Les fantoches sont dans l’embarras car tous les massacres, tous les pillages auxquels l’on assiste actuellement dans le Mungo sont suscités, organisés, financés et encouragés par leur gouvernement à travers toute une série de filières sur lesquelles nous possédons des preuves écrites et signées. Notre devoir nous commande de faire la lumière sur les activités et les liens unissant toutes ces forces ténébreuses qui font le malheur du peuple kamerunais ; certains compatriotes trompés par la propagande démagogique et mensongère des dirigeants de l’U.C. pourront enfin voir le peu de crédit qu’il faut accorder à ceux qui au fond ne sont que des pêcheurs en eau trouble.
Trois ministres du gouvernement d’Ahidjo se sont rendus dans le Mungo dans la dernière quinzaine de janvier 1962 ; au cours de leur séjour à Nkongsamba, il leur a été remis une ”motion” rédigée ”au nom des populations autochtones” par MM. Ekwabi et Makota, tous deux députés à l’Assemblée-croupion de Yaoundé.
Le moins qu’on puisse dire de ce document c’est que par son contenu, il fait honte à ses auteurs et à tous ceux à qui profite leur vie active. Dans la ”motion” par exemple, abordant avec un sens d’irresponsabilité flagrante le douloureux drame de Nlohé, nos ”députés” ne tarissent pas d’éloges pour les auteurs de ce crime et déclarent avec un cynisme révoltant :
”L’on ne peut que louer cette légitime défense qui fait revenir automatiquement le calme”.
Pour eux, l’heure de l’action a sonné : après Nlohé, c’est le moment ou jamais de passer à l’application immédiate de la loi de Moïse. Ailleurs, une telle déclaration n’aurait pas manqué de causer la surprise et l’indignation dans l’opinion publique, en raison précisément du rôle occupé par ses auteurs dans les destinées du pays ; mais au Kamerun, notre peuple l’accueille avec calme et indifférence parce qu’il sait ce que vaut chez lui un élu et quels intérêts égoïstes il sert.
En décidant de la guerre civile, de la guerre de tribus, MM. Ekwabi et Makota n’ont fait qu’obéir à des consignes venues des hautes sphères gouvernementales. De passage à Nkongsamba en septembre 1961, le Premier ministre Charles Assalé avait lui-même jeté le venin de la division dans les masses kamerunaises en déclarant, au cours d’une allocution reprise par Radio-Yaoundé :
Séparatistes
“Le 1er octobre sera pour nous la date limite pour la réconciliation. Une date après laquelle, si les troubles continuaient, il n’y aura plus qu’un moyen, celui d’appliquer : “œil pour œil, dent pour dent”.
Il avait pris soin d’ajouter : ”A bon entendeur, salut”.
Comment s’étonner qu’après avoir dressé les uns contre les autres des citoyens qui ne demandent qu’à vivre ensemble, les deux députés séparatistes du Mungo s’adressent au même Premier ministre et à son gouvernement pour leur demander entre autres des armes, la limitation de l’immigration dans le Mungo, l’expulsion de tous les Bamilékés et l’augmentation des contingents de corps-francs et de l’armée à fixer de préférence dans les milieux ruraux de la région ?
Déjà, le 9 décembre 1961 s’était tenu à Manjo une réunion du genre de celle qui vient de se terminer à Mbanga et qui en était d’ailleurs la continuation. Elle avait pour but l’étude des moyens propres à ”contrer” l’action des patriotes ; les décisions qui furent prises au cours de cette rencontre ne diffèrent pas beaucoup des ”revendications formulées par les auteurs de la motion dont nous dénonçons et flétrissons et la lettre et l’esprit. Ces décisions se ramenaient en gros à ceci :
1) Si l’Alnk opère dans un quartier et abat un traître qui ne serait pas Bamiléké, immédiatement 10 Bamilékés seront en échange fusillés par les ”forces de l’ordre” ;
2) Lorsqu’un militaire de l’armée d’occupation aurait été abattu dans un quartier, non seulement le quartier sera incendié, mais encore 40 Bamilékés seront passés par les armes ;
3) Des mesures extrêmes doivent être immédiatement arrêtées et appliquées dans le district de Manjo, notamment dans les agglomérations de Njoumbeng, Ngolo et Mantem.
Si donc la motion Ekwabi-Makota n’apporte aucun élément nouveau à la situation que nous déplorons, elle a cependant le mérite de révéler au grand jour l’identité de ceux qui fomentent de graves troubles pour en faire porter la responsabilité aux maquisards.
Tout de suite après la réunion de Manjo, M. Ekwabi entreprit, en sa qualité de président départemental de l’U.C., une tournée de propagande à travers le Mungo. Comme par hasard naissaient presqu’au même moment des bandes d’éléments dits “autochtones” qui commencèrent à se manifester sur tout le district de Mungo.
Munis d’armes diverses, ces éléments s’attaquent exclusivement aux commerçants et planteurs Bamilékés qu’ils assassinent en série.
Depuis décembre, ils n’auraient pas fait moins de 50 morts. Il n’y a pas quelques jours, au cours même de ce mois, ils ont réduit en cendre le village Bakwat. Les bandits appointés prennent toujours soin de retirer aux planteurs leurs carnets et leurs titres fonciers avant de les exterminer ; munis de ces faux papiers, ils passent pour des planteurs à Nkongsamba et peuvent vendre tranquillement le produit de leurs exactions. Capturés dans la nuit du 5 mars par une patrouille de l’Alnk, deux de ces bandits armés ont fait d’importantes révélations sur les activités néfastes des soldats de la croisade tribaliste.
Mboma Elong Isaac et Mpohbé Simon, tous deux originaires de Bakwat, ont été arrêtés alors qu’ils se rendaient à Nkongsamba la nuit, pour vendre du café volé à leurs innocents victimes. Le premier a reconnu avoir abattu personnellement cinq planteurs, il a été comme par hasard trouvé porteur de deux carnets de planteur. Il a déjà participé à plusieurs attaques de quartier dans le district de Manjo et en particulier à l’incendie criminel de Badjougué. En plus d’autres “attaques”, le second a pris part à l’ “opération” de Ngolsi où il tua personnellement un planteur. Ce jour-là, ils furent cinq à violer une femme et pillèrent force poulets, ustensiles de cuisines, sacs de café, etc…
L’un et l’autre ont enfin révélé que leur poste de commandement se trouve à Mouamenam, qu’ils reçoivent toutes les directions de ”leurs” députés Ekwabi et Makota et que la guerre en cours tend à chasser les Bamilékés installés sur leurs terres.
Cette question des terres revenant constamment dans la fameuse motion, ceci n’explique-t-il pas cela ? Que veulent exactement les fantoches ? Le peuple kamerunais continuera-t-il toujours à faire les frais d’une politique d’intérêts égoïstes ?
En suscitant et en entretenant parmi les populations les divisions de toutes sortes, l’Uc prétend lutter pour faire sortir les maquisards de la brousse. Dans le Mungo, en dressant ses électeurs les uns contre les autres, M. Ekwabi Ewané Jean, président départemental de l’Uc prétend agir dans le même sens alors qu’en fait, son action ne vise qu’à ”faire revenir à la surface” de vieilles affaires de terrains qui constituent au fond un douloureux héritage du système colonial que notre volonté d’unité et d’indépendance véritable devrait chercher aujourd’hui à liquider. Peut-on dire qu’Ahidjo et son camarade du Mungo poursuivent les mêmes ”objectifs” ? La question est d’autant plus pertinente qu’il y a une semaine M. Ekwabi déclarait qu’il gagnerait le maquis le jour même où les patriotes l’auraient quitté.
Il ne fait plus aucun doute que la contre-révolution kamerunaise est téléguidée de Paris, de Washington, de Bonn. Jusqu’ici, c’est à visage découvert que les Ahidjo, les Assalé, les Foncha et autres valets de l’impérialisme international ont poursuivi leur guerre impopulaire et anti-nationale. Que certains d’entre eux en viennent aujourd’hui à instaurer dans notre pays une squelettique Organisation de l’Armée Secrète (Oas), voilà qui met à nu les contradictions internes auxquelles le régime fait face.
Ces contradictions caractérisent les actes quotidiens des ”puissants du jour” ; elles prouvent l’impuissance des dirigeants corrompus et vendus à faire le moindre effort pour assurer le mieux-être du peuple.
Aussi les esprits fermentent le mécontentement dans toutes les couches du peuple : chez les petits commerçants comme chez les planteurs et les paysans, chez les sans-travail comme chez les travailleurs du secteur public et privé, chez les femmes comme chez les jeunes. Il atteint déjà l’armée où de sérieuses défections se sont fait jour ; le ton du discours prôné à Douala en janvier dernier par le ministre des Forces armées confirme l’existence d’une crise qui trouve son explication immédiate dans la guerre impopulaire menée par les tenants du régime et dans la perpétuelle subordination à laquelle se trouvent condamnés les officiers kamerunais au sein de l’armée de leur pays. Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, rappelons que le contingent des Kamerunais qui ont quitté l’armée nigérienne pour rejoindre celle de leur pays comptait 6 officiers et 113 sous-officiers et soldats ; d’autres officiers ont été formés en France ; l’ironie du sort a même voulu que pour des raisons de ”prestige”, le Kamerun soit le seul pays africain à avoir formé des parachutistes, ce qui est un luxe redoutable quand on connaît ailleurs la lamentable situation économique et sociale du pays. Mais les officiers de tous ordres continuent à occuper des postes subalternes, parce que leurs collègues français et américains se trouvent à tous les barreaux importants de l’échelle de commandement.
Cette situation qui s’inscrit dans le cadre de la logique du néocolonialisme militaire pèse déjà sérieusement sur les soldats kamerunais de tous grades, et ils se posent des questions auxquelles le discours de M. Sadou Daoudou n’a apporté aucune réponse ; on comprend dans ces conditions que le moral faiblisse chez bon nombre d’entre eux. A Nkongsamba, en janvier dernier, quelques mercenaires furent jetés en prison pour avoir blessé au cours d’une infructueuse sortie qui les avait retenus deux semaines durant dans l’un de nos maquis ; la réaction des autres ne se fit pas attendre : quatre d’entre eux déposèrent les armes et regagnèrent leurs familles.
Lorsqu’au mépris du respect le plus élémentaire dû à la personne humaine en état de vie comme en état de mort, lorsqu’en violation flagrante des mesures de salubrité publique, M. Gilbert Andzé, préfet du Mungo, exhibe dans les rues de Nkongsamba des cadavres de soldats fantoches abattus pour illustrer les ”exploits” du régime sur les ”terroristes”, il veut sans doute masquer cette situation de crise que traverse l’armée ; la multiplication des tracts anonymes par Nséké Guillaume, préfet du Wouri, s’inspire de cette même préoccupation.
Mais pour nous, quand un régime descend à un tel niveau, quand il en est réduit à exposer des cadavres dans les rues et à les exploiter pour illustrer sa force, il faut au contraire voir dans cette manœuvre lugubre la preuve du pourrissement et de la faiblesse de ce régime.
Conclusion
Et maintenant que conclure ? On parle beaucoup de l’unité dans les milieux dirigeants de l’Uc comme on y parle de bien d’autres choses. Au cours de sa récent tournée de propagande évoquée plus haut, voici en quels termes M. Ekwabi définissait les buts de son groupuscule :
”Ainsi que son nom l’indique l’Union Camerounaise tend à réaliser l’unité la plus complète de tous les Camerounais, l’unité de la nation, son édification dans la paix et la concorde en faisant abstraction de toute discrimination, qu’elle soit de tribu, de région ou de sexe”.
Les dirigeants de l’Uc ont même la prétention de faire de leur petit groupe un parti national… ! Alors nous devons nous entendre : tous les crimes et toutes les manœuvres de division dénoncés ici sont à passer à l’actif des dirigeants de l’Uc. Il y a donc un grave divorce entre les déclarations et les actes de ces Messieurs.
On ne peut pas parler honnêtement de l’unité en suscitant en même temps de véritables guerres de tribus, on ne peut pas parler d’édification de la nation dans la paix et la concorde alors qu’on trouve un malin plaisir à l’entretien de toutes les causes de frictions et de désordres dans les masses populaires.
Nous savons cependant que le régime actuel n’est que l’enfant terrible de celui d’hier et qu’il doit dans une tentative de survie utiliser les mêmes méthodes que le régime dont il perpétue et les souvenirs et les actes. Des Kamerunais peuvent et doivent avoir adhéré par ignorance à l’Uc Devant l’échec manifeste et les actes indignes déjà dénoncés, ils doivent réviser sans tarder leur attitude et s’engager désormais à ne plus accorder leur soutien à une organisation dont les dirigeants ne servent chez nous que les intérêts de l’étranger.
A cet égard, un passage mérite d’être souligné dans la déclaration récemment signée par M. Ahidjo et le président des Usa. Il est dit en substance que les deux pays ont de ”nombreux buts et idéaux communs”. Il ne s’agit évidemment pas de buts et d’idéaux favorables à l’émancipation totale des peuples des deux pays en question.
Pour s’en faire une idée, soulignons que chaque Kamerunais aux Etats-Unis est un chômeur (ce pays compte en effet 5 millions de chômeurs soit exactement la population totale du Kamerun). C’est là la conséquence d’une politique d’intérêts égoïstes poursuivie par une infirme minorité d’éléments représentant exactement trois pour cent de la population qui fait le malheur de notre peuple et a érigé le chômage en institution comme aux Etats-Unis d’Amérique.
Voilà ce que signifient les ”buts et idéaux communs” d’oppression et d’exploitation des peuples. On ne s’étonnera pas dès lors que les Usa aient remis à Ahidjo une cinquantaine de jeeps et de camions militaires ainsi que huit millions de dollars pour l’aider à poursuivre une guerre de démission nationale. Personne ne se laissera impressionné dans notre pays par ce soutien car il s’est déjà avéré inefficace partout où les impérialistes américains ont pris en charge des régimes chancelants. Mais ce soutien viendra rappeler une fois de plus au peuple Kamerunais que les Usa, gendarme international, demeurent l’ennemi mortel de tous les peuples opprimés en lutte pour leur liberté et leur indépendance nationale. L’impérialisme américain secrète la guerre comme la plante la sève.
Aujourd’hui, le sang coule au Laos et au Sud-Vietnam sur l’instigation des impérialistes américains. Le sang a coulé au Liban et ailleurs toujours sur l’instigation des impérialistes américains. Jusqu’à hier encore en Algérie les impérialistes américains soutenaient par tous les moyens le gouvernement français dans une guerre coloniale des plus atroces et des plus ruineuses. Le drame Kamerunais n’existerait pas aujourd’hui si les impérialistes américains n’avaient pas aux Nations Unies et hors d’elles pris fait et cause pour les ennemis de l’unité et de l’indépendance véritable du Kamerun.
L’éclatante victoire que le peuple frère d’Algérie vient de remporter sur l’impérialisme français et tous ses alliés prouve la vanité des puissants moyens matériels dont disposent tous les fauteurs de guerres injustes ; elle détruit aussi le mythe de l’invincibilité des armées professionnelles. L’élément qui détermine l’issue de toute guerre demeure le potentiel humain ; or tous les peuples se tiennent toujours aux côtés de ceux qui combattent pour la liberté et mènent par conséquent une guerre juste.
Les chances de succès demeurent toujours grandes pour le peuple kamerunais ; mais aussi longtemps que nous ne saurons pas réaliser l’unité, nous ne saurons pas aussi tirer le maximum de profit des chances qui nous sont offertes. La gravité de la situation de même que l’amour que nous portons tous à notre pays à son peuple commandent que tous les enfants Kamerunais se donnent la main et serrent les rangs pour porter le coup décisif au régime néocolonialiste agonisant.