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02.02.2009
Marthe Moumié, la "fidèle combattante" inhumée à Ebom Essawo
Marthe Moumié, la "fidèle combattante" inhumée dans son village natal
Tuée dans la nuit du 4 au 5 janvier 2009, Mme veuve Moumié a été inhumée le 31 janvier dernier à Ebom Essawo à une soixantaine de kilomètre d’Ebolowa. « Grande dame, brave mère, combattante des premières heures pour la liberté, Marthe est restée fidèle… », témoigne Théodore Moluh Mekou samedi dernier, 31 janvier 2009, à Ebom Essawo. Il s’exprime ainsi à quelques minutes de l’inhumation de Mme veuve Moumié née Ekemeyong Marthe, en tant que chef de famille de l’époux de la défunte, Félix Roland Moumié.
Le portrait du président de l’Union des populations du Cameroun, assassiné en 1960, fait partie de ceux posés aux pieds du cercueil. La fidélité évoquée par T. Moluh Mekou tient du fait que Marthe Moumié est restée attachée à son époux, jusqu’à la mort. Mais encore, sa fidélité s’étend à d’autres domaines. « Toute sa vie, [elle] sera restée fidèle à ses convictions », relève Paul Biya, président de la République, dans son message de condoléances, lu par le préfet de la Mvila. « Merci pour ton courage, ton patriotisme, ton abnégation et ta générosité », lance à la défunte, Avebe Essouma Albert, chef de sa famille d’origine.
Il pense que le patronyme de Marthe aura eu un caractère prémonitoire. Car, Ekemeyong signifie selon Avebe Essouma, « celui ou celle qui quittera le terroir pour vivre là-bas, chez les autres ». Effectivement, Marthe Ekemeyong est parti de son Ebom Essawo natal pour Lolodorf.
C’est dans cette bourgade qu’elle fera la connaissance d’un jeune camerounais fraîchement diplômé de médecine. Félix Roland et Marthe s’unissent ; par les liens du mariage, et pour le combat en faveur d’une « vraie » indépendance du Cameroun. Un idéal de liberté auquel elle restera fidèle. Jusqu’au retour « auprès de son père et de sa mère en guise de réconciliation », poursuit Avebe Essouma. « Son corps repose ici », relève Théodore Moluh Mekou. Quand à « son âme, je là ramène à Foumban », lance », rétorque-t-il.
Le débat autour du lieu d’inhumation de la défunte se prolonge donc sur la dialectique corps/âme. Mais de part et d’autre, on s’accorde à raconter qu’il n’y pas eu de disputes à propos du lieu où sera enterrée Mme veuve Moumié.
Représentant du président de la République à ces obsèques, le gouverneur de la région du Sud parle d’une « grosse perte », car « elle avait beaucoup à donner encore, en témoignent ses derniers écrits ». Le frère de son époux regrette « un départ au moment où les enfants de ta famille avait le plus besoin de toi ».
Loin des premières loges, Hellen Moumié, n’en finit pas d’écraser des larmes. Sa douleur repartira de plus belle au moment de porter le cercueil en terre. Un cercueil que portent des militants de l’Union des populations du Cameroun (Upc), menés par Henri Hogbe Nlend et Samuel Mackit.
Ces derniers n’ont pas pris la parole. « Nous n’allons pas arracher la parole. La famille a demandé de porter le cercueil, aux couleurs de l’Upc. Nous l’avons fait », confie Henri Hogbe Nlend. Sa camarade de parti repose désormais en paix. Mais le feuilleton est loin d’être achevé.
L’affaire va se poursuivre chez l’un des juges d’instruction près le Tribunal de grande instance de la Mvila. Puisque, Eboutou Minla’a Frank, principal suspect du meurtre de Mme Moumié, détenu à la prison centrale d’Ebolowa, fait l’objet d’une instruction judiciaire. Les résultats du test d’Adn demandé par la fille encore attendus pourraient conforter, ou remettre en cause la thèse de la police. Affaire à suivre…
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Hommage : Samuel MACK-KIT "Marthe Moumié, avait encore beaucoup de choses à nous dire "
Le 4 Septembre 1931, elle naissait dans ce pays boulou où personne alors, ne pouvait imaginer que 78 ans plus tard, elle allait y mourir de façon aussi brutale.Elle, c’est Marthe EKEMEYONG qui allait le 22 Juillet 1950, à LOLODORF, épouser Félix Roland MOUMIE, jeune médecin frais émoulu de la renommée Ecole de William PONTY de Dakar au Sénégal. De cette union naquirent deux filles : Annie Jecky Berthe et Hellen Jeanne. Mais, le 28 Janvier 1951, juste 18 mois après sa naissance, Annie Jecky Berthe fut terrassée apparemment par un accès palustre.
Il ne resta donc au jeune couple que Hellen Jeanne, qui, après avoir perdu son père, le Docteur Félix Roland MOUMIE, Président de l’UPC, dans des conditions dramatiques, doit enterrer aujourd’hui sa mère, dans des conditions tout aussi dramatiques.
La question qui s’impose, est POURQUOI ? En effet, POURQUOI ? Pourquoi a-t-on assassiné Félix Roland MOUMIE le 3 Novembre 1960 à Genève en Suisse ? Pourquoi, presque un demi-siècle plus tard, a-t-on éprouvé le besoin d’assassiner aussi Marthe EKEMEYONG, son épouse ?
Le Docteur Félix Roland MOUMIE, Président de l’UPC, a été reconnu comme un Héros National par l’Assemblée Nationale du Cameroun par la Loi N° 91/022 du 16 Décembre 1991. Par cette réhabilitation, le Gouvernement camerounais a reconnu le bien-fondé du combat mené par Félix Roland MOUMIE et ses camarades, UM NYOBE, OUANDIE Ernest et bien d’autres, combat ayant eu pour unique but: La Réunification du Kamerun. L’Indépendance du Kamerun. Le bien-être des Kamerunais.
C’est pour ce combat que Félix Roland MOUMIE a été assassiné par empoisonnement par les Services Secrets français avec l’aval du Gouvernement camerounais d’alors, présidé par Ahmadou AHIDJO.
Le meurtre est un acte de violence volontaire avec préméditation. Marthe MOUMIE a trouvé la mort par cet acte de violence abjecte.
Pourquoi ? Pour quel intérêt ?
Une vieille dame allant vers la fin de sa vie. Une vieille dame qui ne disposait pas de biens matériels. Une vieille dame qui s’est battue toute une vie pour la justice et le bien-être de ses concitoyens comme son mari, le Président de l’UPC Félix Roland MOUMIE.
Il est difficile de ne pas faire le rapprochement entre l’assassinat de Félix Roland MOUMIE et celui de son épouse Marthe. Sur le plan pénal, l’enquête en cours devra trouver la réponse à cette question. C’est un devoir devant l’Histoire.
Il est impossible de ne pas interroger la personnalité et le passé de Marthe MOUMIE. Il est indéniable que Marthe EKEMEYONG, épouse MOUMIE, n’était pas n’importe qui. En effet, à peine âgée de 18 ans, elle, une BOULOU, s’éprend d’un BAMOUN et décide de l’épouser et ceci, dans les années 50 ! Quel sacrilège ! Le refus des deux pères a été immédiat.
C’était sans compter avec la détermination de Marthe. Déjà ! Elle mettra trois ans (1947 – 1950) pour obtenir le consentement de son père pour ce mariage et elle l’aura. Ainsi, dès son jeune âge, Marthe EKEMEYONG, future épouse MOUMIE, prouve qu’elle a du caractère. Et ce sera le cas toute sa vie.
Certes, Il en fallait du caractère pour être l’épouse du Docteur Félix Roland MOUMIE, le Président de l’UPC. Il est de notoriété publique que le Président de l’UPC n’a jamais vacillé un seul instant dans son combat contre le colonialisme, du jour de son adhésion à l’UPC en 1948, jusqu’à son assassinat à Genève, le 3 Novembre 1960.
Mais Marthe MOUMIE n’était pas seulement l’épouse. Elle était elle-même aussi membre de l’UPC. Elle avait adhéré le même jour que son mari. Membre de l’UPC et dirigeante de l’Union Démocratique des Femmes Camerounaises (UDEFEC), elle a donc subi toutes les tribulations des militants de l’UPC, à partir de 1955 à la dissolution illégale de celle-ci par le Gouvernement français.
Elle a connu l’EXIL. Pendant cette période, elle a rencontré les principaux Chefs d’Etat progressistes du Tiers Monde de l’époque, tels : Gamal Abdel NASSER d’Egypte, Ahmed SEKOU TOURE de Guinée Conakry, Kwame NKRUMAH du Ghana, HO-CHI-MINH du Vietnam, MAO TSE TOUNG de la Chine, Mohamed V du Maroc
Sur un plan personnel, le destin n’a pas souri à Marthe MOUMIE. Veuve si jeune, elle a rencontré plus tard le nationaliste Athanasio NDONG de Guinée-Equatoriale, lui aussi exilé en Algérie. En 1968, après les derniers combats auxquels Athanasio NDONG a participé, l’indépendance de ce pays fut acquise. Et comme cela arrive parfois, une lutte s’est engagée entre les combattants d’hier. Macias NGUEMA a réussi très rapidement à éliminer ses camarades de combat de la veille, dont Athanasio NDONG.
Ayant été la compagne de ce dernier, Marthe MOUMIE a fait plusieurs mois de prison en Guinée –Equatoriale pour ensuite être livrée comme un colis au Gouvernement camerounais en Mai 1969. Celui-ci la jettera bien sûr en prison où elle sera torturée et humiliée. Ce n’est que le 14 Juillet 1974, qu’elle sera enfin libérée.
Dès qu’elle sort de la BMM, elle retourne dans son village natal EBOM-ESSAWO où elle mène une vie ordinaire. Lorsque 17 ans plus tard, Félix Roland MOUMIE est déclaré Héros national, la vie de sa veuve ne change absolument pas.
En 1992, elle commence à recevoir sa maigre retraite de 16.000 F par mois. Mais cette vie difficile ne parvient pas à abattre Marthe MOUMIE. Elle n’est pas de ceux qui se laissent abattre par l’adversité.
C’est alors qu’elle est à la retraite, qu’avec le concours de sa fille et de sa petite fille, qu’elle réussit à faire venir au Kamerun, une équipe de journalistes suisses pour réaliser un film sur l’assassinat de son époux Félix-Roland MOUMIE. Ce film, en dépit de quelques insuffisances décrit assez correctement les circonstances de l’assassinat du Président de l’UPC en 1960.
Moins de cinq ans après, ce film sera suivi par la publication en 2006, d’un livre de Marthe MOUMIE au titre accusateur « VICTIME du colonialisme français – mon mari Félix MOUMIE ».
Ce livre est une contribution importante à la connaissance de l’Histoire, non seulement de l’UPC, mais aussi et surtout, de la lutte du Peuple Kamerunais sous la direction de l’UPC, de la lutte des autres peuples africains et de la solidarité de combat des peuples africains entre eux, face à l’agression des colonialistes.
Enfin, depuis quelque temps, cette femme infatigable, avait entrepris de créer une Fondation Félix Roland MOUMIE.
Toute sa vie, Marthe EKEMEYONG, épouse MOUMIE, est restée fidèle à l’UPC, fidèle aux idéaux de la nécessaire lutte contre le colonialisme et le néo-colonialisme, fidèle à l’incontournable combat pour l’amélioration des conditions de vie des Kamerunais.
Alors que d’autres virevoltaient comme des girouettes pour se retrouver toujours du côté, au moins momentanément du plus fort, Marthe MOUMIE est restée fidèle. Cette fidélité n’a pas toujours été facile à vivre. Elle a certainement déplu à plus d’un.
Est-ce cela que l’on a voulu faire payer du prix le plus fort à Marthe MOUMIE comme on l’a fait payer en 1960 à son mari ? La question est posée.
L’Union des Populations du Cameroun et le peuple kamerunais exigent une réponse convaincante.Les circonstances dramatiques de la brutale disparition de Marthe MOUMIE, mettent en lumière, au moins un problème : celui de la responsabilité de l’Etat. Comment expliquer l’assassinat de la veuve d’un héros national dans de pareilles conditions ? Où était l’Etat ? Qu’a fait l’Etat ?
La situation est trop grave pour s’en tenir à une vaine et puérile polémique. En fait, nos questions visent à éviter d’autres drames. Il existe encore d’autres familles de héros avec des veuves et des enfants.
Cet Hommage de l’UPC à Marthe MOUMIE aurait été incomplet et surtout hypocrite sans ces questions. Ce décès intervient trop tôt. C’est une importante perte pour notre mémoire collective. Cette dame avait encore beaucoup de choses à nous dire et à nous apprendre.
Dans son livre « Victime du colonialisme français », elle a écrit ceci :« Mon souhait est que cette histoire qui est aussi l’histoire de l’Union des Populations Camerounaises (UPC) et celle de la lutte anticolonialiste dans plusieurs pays africains, soit connue de la jeunesse africaine et européenne. Il ne faut pas que le silence et la falsification persistent… ».
A la limite, on pourrait dire que l’assassin ou les assassins ont tué pour rien, car, à travers ces quelques lignes, on dirait que Marthe MOUMIE nous a laissé son testament par cette double exhortation :
Il faut que la jeunesse africaine et européenne connaisse l’Histoire de la lutte anti -colonialiste. Il ne faut pas que le silence et la falsification persistent.
Jeune et moins jeune. Fille et garçon. Femme ou Homme, si nous nous attachons à réaliser ces souhaits, alors Marthe MOUMIE n’aura pas vécu en vain.
Merci. Douala, le 31 Janvier 2009
Nota : Hommage de l’Union des populations du Cameroun (Upc) à Marthe Moumie prononcé par Monsieur Samuel MACK-KIT, le président de l’UPC
© Correspondance : Samuel MACK-KIT
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