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30.07.2005
CHOC DES CULTURES
Dilemme qui s´était fait jour avec le débarquement des premiers Blancs dans le golf de Guinée et qui, étrennant au départ un troc innocent de marchandises, vira bientôt au traumatisant commerce du "Bois d´Ebène" (4) installant ainsi un infernal triangle Esclaves-Ivoire-Rhum source du mal africain, dans les rapports commerciaux avec l´Occident. Car le sacrilège de la traite s´abritait désormais derrière deux solides boucliers : le précieux ivoire qui enrichis-sait vite les marchands en dépeuplant nos forêts de ses éléphants et rhinocé-ros, mais qui avait surtout le mérite pervers de transformer les porteurs d´ivoire en captures faciles et peu compromettantes (6 ); puis cet alcool déjà expérimenté en Amérique du Nord contre les Indiens comme une arme aussi exter-minatrice que séduisante, qui pourrait toujours servir en Afrique, en cas de besoin : "arrosez-en tout le village et dès le soir, vous trouverez toute la tribu ronflant à la belle étoile, et tac tac tac tac tac ! ni vus ni connus... "
Ce besoin-là, Dieu merci, ne se fit pas sentir dès les temps de la Traite. Celle-ci s´agrémenta même au 19e siècle d´un souci civilisateur et évangélisateur qui suscita et porta a son comble le combat anti-esclavagiste. Les philosophes et avocats européens des droits de l´homme, appuyés bientôt par les églises et les Etats colonisateurs tenaient à l´œil les négriers, qui de leur côté s´ingéniaient à contourner lois et contrôles.
William Wilberforce, leader du lobby anti-esclavagiste, est remplacé en 1840 par Thomas Buxton qui prend la tête d´une expédition britannique vers le fleuve Niger destinée a éradiquer la Traite à sa source. Les patrouilles des escadrons navals britanniques le long de la Côte Ouest-africaine ne lui paraissent pas suffire à cette tâche : il faut, pense-t-il, une coalition des trois "C" (Civilisation, Commerce et Christianisme) pour apporter le remède approprié au mal africain. "La Bible et la Charrue, affirme Brian Stanley, (7) voilà qui ensemble régénéreront.
l´Afrique " Et de raconter : "Buxton tint une grande réunion publique le 1er juin 1840 à Exeter Hall pour rendre public son projet. L´attention de toutes les sociétés missionnaires était plus que jamais orientée vers l´Afrique de l´Ouest. Ce n´était sûrement pas une coïncidence que deux jours plus tard, le Comité de la BMS (8), conformément à la démarche de nos frères de la Jamaïque, et suivant ce que nous appréhendons comme étant une claire indication de la Providence, ait résolu de lancer une mission en Afrique de l´Ouest".
C´est ainsi qu´une expédition exploratoire de Buxton quitte Londres pour l´Afrique avec entre autres le pasteur jamaïcain John Clarke et le docteur anglais G. K. Prince exerçant en Jamaïque ; elle arriva le 1er janvier 1841 à Fernande Pô en escale pour le Niger, et l´escale devient destination à cause de l´accueil chaleureux du Gouverneur de la base navale britannique à Clarence (chef-lieu de Fernando Pô) et de l´extrême perméabilité à l´Evangile des anci-ens esclaves qui ont colonisé la contrée. De l´île, Clarke et Prince traversent aisément au Cameroun et prennent un premier contact avec les Chefs Duala avant de reprendre la mer pour le retour en Angleterre.
Mais "Le vaisseau transportant Clarke et Prince, reprend Stanley, est éconduit par des tempêtes et finit au large des Indes Occidentales. Les missionnaires peuvent ainsi visiter les églises jamaïcaines et recruter des volontaires pour la mission africaine. " D´autres recrutements sont faits peu après en Angle-terre, au nombre desquels un dessinateur des docks de l´Amirauté de Devonport: la future célébrité Alfred Saker et son épouse Helen. 42 Jamaï-cains s´en vont donc vers l´aventure ancestrale (les volontaires et leurs familles), "les plus instruits devant servir d´enseignants, le reste étant de simples colons destinés à former le noyau de la communauté chrétienne".
Ils arrivent à Femando Pô en février 1844 et Saker opère sa première conversion à Clarence en la personne de Thomas Horton Johnson qui l´accompa-gnera plus tard comme premier pasteur africain du Béthel à Cameroons Town (Douala) où les populations s´avèrent d´une tout autre étoffe : hostiles ou indifférentes à la nouvelle croyance, elles restent accrochées à leur religion traditionnelle. Saker et Johnson élisant domicile sur les terres de King Akwa le 16 juin 1845 s´aperçoivent alors seulement, d´après Stanley, "que c´est un peuple dont le mode de vie va à l´encontre de presque toute notion victorienne de ce qui constitue la civilisation et la décence". Et E. B. Underhill de renchérir dans sa biographie de Saker : "ils étaient totalement barbares, pratiquant les superstitions les plus sauvages et les plus dégradantes, et adonnés à la pratique de tous les vices qui avilissent l´humanité"(9).
Appréciation un peu hâtive à notre avis, car oublieuse des pratiques rituelles qui ont caractérisé toutes les grandes religions de l´Histoire (divination, magie et sorcellerie, offrandes et sacrifices sanglants... ) et dont la plus célèbre reste celle judéo-romaine qui sacrifia sur une croix le Fils de Dieu en personne, élevant par ailleurs au stade de théophagie le penchant atavique de l´homme au cannibalisme. Quant à savoir ce qui vaut aux Duala et aux "tribus cannibales" de la Côte cette exclusivité de superlatifs dégradants, à part leur nudité corporelle et leur indépendance religieuse, nous ne trouvons pas grand´chose, sinon que l´année de publication de cette biographie elle-même (1884) est comme par hasard l´année la plus amère de l´Histoire coloniale britanno-camerounaise : celle où l´Angleterre arriva trop tard au rendez-vous, et seulement pour constater que les Rois et Chefs Duala avaient déjà signé avec les Allemands le Traité de Protectorat. La rage des cœurs explique l´orage des mots ! Ajoutez à cela l´hostilité anti-chrétienne desdits monar-ques, et vous comprendrez mieux encore et ce Traité si vite signé avec le rival, et le dépit diffamateur du cocu.
Par ailleurs, l´on peut noter un superlatif absolu infligé en 1848 à l´île de Fernando Pô par le quotidien londonien THE TIMES, comme pour décourager les bonnes volontés européennes axées dans sa direction : "la terre la plus pestiférée, écrit-il, que l´univers soit censé contenir. " Mais face au paludisme qui ravage les populations et emporte une petite fille d´Helen et Alfred Saker, la réaction européenne est, non pas de trouver remède à ce mal en-démique mais de rapatrier nombre de missionnaire blancs et de faire venir à la place d´autres recrues noires de Jamaïque, sur la base de supposition que prévalait alors, selon laquelle les Noirs possédaient une immunité raciale contre les fièvres du climat africain. Or le mensonge, dit un proverbe Duala a les jambes trop courtes ; et ce mensonge-là est bien vite éventé. La découver-te du subterfuge " s ´avéra " démoralisante pour la partie jamaïcaine. Les esprit d´abord déprimés passèrent à la colère, du fait de la mauvaise gestion de la communauté, dont les Jamaïcain sont presque toujours seuls à faire les frais : cantonnement sur le site de la mission à Clarence, refus de les laisser s´installer de façon autonome…
" Ceux qui étaient des enseignants, avoue encore Stanley, s´attendaient à se voir octroyer le même statut que les missionnaires européens, et furent ulcé-rés qu´il n´en fut rien . " Et MM. Fuller et Grenfell de renchérir : " Les simples immigrants pour leur part se sentirent dans la même situation que les maîtres d´école et furent pareillement déçus. Résultats : John Clarke ramena la majorité des Jamaïcains chez eux en 1848 ; la vision d´une mission des Indes Occidentales en Afrique avait échoué. "
L´échec n´est cependant pas entier, car un autre Jamaïcain du nom de Joseph Merrick et sa femme, arrivés en 1843 à Fernando Po avec le couple Prince, iront s´installer à Bimbia où il écrira une grammaire de la langue Isubu et traduira des livres de la Bible ; et c´est la parenté évidente de l´Isubu et du Duala voisin qui d´ailleurs aidera Saker à terminer en 1872 la traduction des Saintes Ecritures dans cette dernière langues, offrant ainsi une matière substantielle à la rédaction de nombreux manuels scloaire d´inspiration reli-gieuse et un socle solide à l´édification de l´enseignement biblique, tant au profit des enfants qu´à celui de leurs formations.
4 C´est-à-dire la Traite des Nègres. , 5 Par Rhum s´entend, l´alcool de canne à sucre des plantations américaines, pompeusement adopté à Douala sous le néologisme imitatif de ´elam´ ou belam´ et vicieusement insinudé dans le rituel traditionnel. Mais dans cette catégorie se range également la pacotille destinée à tromper par ses faux éclats la candeur nègre des Chefs et dignitaires. 6 Une fois qu´ils déposaient leur chargement à bord, il suffisait de les y retenir captifs et.. ni vus ni connus! 7 "THE HISTORY 0F THE BAPTIST MISSIONARY SOCIETY", T&T Clark, Edinburgh. 8 La British Missionary Society. (9) E. B. Underhill, "ALFRED SAKER", Londres 1884.
(10) Au nom d´un dieu, d´un principe (purification, Rédemption, etc. ) les Aztèques et les Incas d´Amérique les Grecs et les Romains, les Germains et les Scandinaves, les Juifs et autres ont entretenu dans leurs religions respectives des rites sanglants de sacrifices d´animaux et très souvent d´humains. Les guerres saintes de l´Islam les Croisades, l´Inquisition et autres hécatombes du Christianisme, voilà qui, dans la plupart des principales croyances du monde, donne au sang versé une interprétation et une pratique où le sacrilège devient simplement sacré.
Aussi le barbarisme des rites anciens d´Afrique n´a de scandaleux que la triste hypocrisie de ceux qui le dénoncent croyant se mettre du bon côté de l´Histoire. Du sacrifice intentionnel (et rituel) d´Isaac par son père Abraham a celui (réel et non moins rituel) du Christ par l´humanité tout court, ne surgit-il pas un enseignement sur l´appel universel du sang dans l´élan religieux de l´homme?
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