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06.10.2006
L´Intérieur de la nuit - Léonora Miano
En deux romans, la Camerounaise Léonora Miano pointe les défaillances du continent. Terrible diagnostic dicté par un amour exigeant.
Valérie Marin La Meslée
Le Mboasu est ce pays imaginaire, et si cruellement ressemblant, de l´Afrique équatoriale où se situent les deux premiers livres de Léonora Miano. « Mboasu » signifie « chez nous » en douala, cette langue du Cameroun, son pays natal, dont quelques mots viennent, ici et là, sous la plume talentueuse de cette jeune femme de 33 ans. Adolescente, elle l´a apprise d´elle-même, en « mauvaise fille », puisque seul le français était parlé chez les Miano. Grandie au Cameroun dans une famille bourgeoise et cultivée, père pharmacien, mère prof d´anglais, Léonora voulait ainsi se « rapprocher des gens ». Dès l´âge de 8 ans, elle trouve dans l´écriture un espace où s´exprimer sans être « contrariée ». Jetée dans l´arène depuis qu´elle est publiée à Paris, où elle est venue poursuivre ses études après le bac, elle doit aujourd´hui répondre aux attaques de lecteurs qui ne lui pardonnent pas de dire du mal de l´Afrique...
Ces joutes ne sont pas pour déplaire à l´auteur de « L´intérieur de la nuit », paru l´an dernier : un premier roman d´une stupéfiante beauté tragique relatant une scène de meurtre rituel. Léonora Miano y posait, sur des pratiques de cannibalisme, le regard d´une jeune fille d´aujourd´hui de retour dans son village natal après ses études en France. Dans le second, « Contours du jour qui vient », elle laisse son héroïne, Musango, 12 ans, décrire, en s´adressant à sa mère qui l´a chassée de son village, l´accusant d´être possédée du démon, l´état d´un pays détruit par la guerre, où les enfants sont livrés à la rue, à la merci d´un nouveau mal : les sectes prétendument religieuses.
La vérité, d´abord, importe à la jeune femme, qui châtie l´Afrique autant qu´elle l´aime, d´un amour « violent et exigeant ». Aînée de trois soeurs, Léonora Miano a toujours eu un « sens aigu de la gravité de l´existence », et avoue ne pas savoir « écrire des choses gaies », mais ponctue ses propos d´un mélodieux éclat de rire, réservant l´expression intense de la douleur aux heures passées devant la page lorsqu´elle se plonge dans cette nuit dont elle voudrait voir l´Afrique sortir plutôt que de « cultiver ce repli identitaire fasciste que l´on rencontre chez des Africains là-bas, comme ici ».
En mars, Léonora Miano est revenue au Cameroun après quinze ans d´absence, prête à en découdre avec ses lecteurs : « on m´a demandé ce que je faisais pour la cause des noirs. Mais il n´y a pas de cause qui ne soit que celle des noirs. Je ne me reconnais pas dans ces chants de la "noirie". La souffrance humaine est universelle. »
Elle montre pourtant dans ses livres à quel point l´injure (exemple, « la saleté ne tue pas le nègre ») a été intériorisée en Afrique : « parce que les gens ont vraiment cru qu´ils étaient inférieurs, parce qu´il y a cette terrible fragilité dans l´estime de soi. Mais ce que l´on croit compte avant tout et, si elle croit en elle, l´Afrique peut arriver à envisager son avenir. Nous ne sommes pas le seul continent dont les gens ont été livrés sans neurones ! A nous de nous révolter. »
Férue d´histoire et politisée depuis l´ado-lescence, Léonora Miano est une grande lectrice. Y compris des rapports des ONG... « Ce que j´écris dans mes livres est moins pire que ce qu´ils révèlent, mais la littérature peut mettre sur la place publique ce linge sale qu´on préfère ne pas laver en famille. »
« L´intérieur de la nuit », de Léonora Miano (Pocket) et « Contours du jour qui vient » (Plon, 275 pages, 18 E). © le point 05/10/06 - N°1777 - Page 116 - 579 mots
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