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11.01.2011
Kamerun: Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971)
by Le Savoir Africain on Tuesday, January 11, 2011 at 11:40am
Pendant plus de quinze ans, de 1955 à 1971, la France a mené au Cameroun une guerre secrète. Une guerre coloniale, puis néocoloniale, qui a fait des dizaines de milliers de morts, peut-être davantage. Une guerre totalement effacée des histoires officielles. En France, où l’on enseigne toujours que la décolonisation de l’« Afrique française » fut exemplaire et pacifique. Et au Cameroun, où il est encore risqué aujourd’hui d’évoquer ce terrible conflit qui enfanta une redoutable dictature… C’est dire l’importance de ce livre, qui retrace pour la première fois l’histoire de la guerre menée par les autorités françaises contre l’Union des populations du Cameroun (UPC), le parti indépendantiste créé en 1948, et tous ceux pour qui la liberté et la justice s’incarnaient en un mot : « Kamerun ! ».
Pendant quatre ans, les auteurs ont enquêté en France et au Cameroun. Ils ont retrouvé de nombreux témoins : militaires français et camerounais, combattants nationalistes, rescapés des massacres… Dans les archives, ils ont consulté des milliers de documents et fait d’étonnantes trouvailles. Ils racontent comment furent assassinés, un à un, les leaders de l’UPC : Ruben Um Nyobè en 1958, Félix Moumié en 1960 et Ernest Ouandié en 1971. Et ils montrent comment l’administration et l’armée françaises, avec leurs exécutants locaux, ont conduit pendant des années une effroyable répression : bombardements des populations, escadrons de la mort, lavage de cerveau, torture généralisée, etc.
Plus de cinquante ans après la pseudo-indépendance accordée au Cameroun le 1er janvier 1960, cette histoire reste d’une brûlante actualité. Car c’est aussi celle de la naissance de la Françafrique, fruit du consensus colonial de la IVe République, puis de la diplomatie secrète de la Ve République. C’est l’histoire, enfin, d’un régime « ami de la France » en guerre perpétuelle contre son propre peuple : après vingt-deux ans de dictature sous Ahmadou Ahidjo et près de trois décennies de déliquescence sous Paul Biya, les Camerounais rêvent toujours d’indépendance et de démocratie.
À La Rochelle, accueillis par la famille de feu le général Jean Lamberton (décédé en 2004), les auteurs découvrent que ce dernier, qui fut un acteur important de la guerre menée par la France au Cameroun dans les années 1950 et 1960, avait lu dans les dernières années une bonne partie des livres consacrés à cette guerre.
Selon les commentaires laissés dans ces livres par le vieux général, le journaliste Pascal Krop est de « mauvaise foi », son confrère Pierre Péan « un guignol », François-Xavier Verschave rien d’autre qu’« un méchant con » et les travaux de l’historien camerounais Achille Mbembe sont « évidemment tendancieux ».
Lamberton, qui était de son vivant un expert de la guerre psychologique, semble ainsi poursuivre d’outre-tombe son action de désinformation. Mais il n’est pas le seul à avoir romancé cette guerre oubliée, et les récits fumeux produits depuis quelques années furent d’un grand secours pour le Premier ministre François Fillon quand, interrogé à Yaoundé en 2009 sur ces événements tragiques, il se débarrassa de la question en parlant d’« invention ».
Ce négationnisme officiel a été suivi d’un étonnant silence médiatique, alors même que d’éminents prédécesseurs de M. Fillon – comme Michel Debré et Pierre Messmer – ont évoqué dans leurs Mémoires cette guerre du Cameroun dont ils furent des acteurs clés. Une guerre secrète qui a fait, au bas mot et selon des bilans officiels, plusieurs dizaines de milliers de morts.
Avec la parution, le 6 janvier 2011, de Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (La Découverte), la France est rattrapée par une guerre fondatrice de la Françafrique qu’elle a trop longtemps occultée : la guerre du Cameroun.
Au terme de quatre années d’enquête, une équipe franco-camerounaise d’historien et journalistes documente de manière inédite la « guerre révolutionnaire » livrée par le pouvoir franco-camerounais aux indépendantistes de l’Union des populations du Cameroun (UPC).
Une petite guerre d’Algérie en Afrique centrale, passée largement inaperçue à l’époque et soigneusement masquée depuis. Une guerre qui a causé la mort de dizaines voire de centaines de milliers de Camerounais entre 1955 et 1971, et qui a permis d’installer le régime de terreur toujours en place aujourd’hui, incarné par Ahmadou Ahidjo (1958-1982) puis Paul Biya (1982 -…).
Et pourtant, encore aujourd’hui, les autorités françaises nient envers et contre tout. En visite à Yaoundé le 22 mai 2009, François Fillon, interrogé sur cette guerre, avait même osé affirmer : « Je dénie absolument que des forces françaises aient participé en quoi que ce soit à des assassinats au Cameroun, tout cela c’est de la pure invention » (source). En 750 pages, les trois auteurs mettent en pièce ce déni d’histoire.
§ Pour la première fois, par exemple, un ancien magistrat colonial, Jean-Paul Martin, révèle qu’il a cherché à combattre la torture utilisée par les gendarmes français au Cameroun… et que, pour cette audace, il a été expulsé du Cameroun en 1959. Voir la vidéo.
§ Autre exemple saisissant de la brutalité de cette guerre : face caméra, l’actuel chef d’état-major de l’armée camerounaise, le général Pierre Semengue, reconnaît que son armée, entièrement créée, formée et encadrée par la France, coupait les têtes des maquisards. Voir la vidéo.
Ce ne sont là que deux des multiples révélations contenues dans cet ouvrage qui fera date. Il a fallu quatre décennies à la France pour admettre qu’elle a mené une guerre en Algérie. Combien lui en faudra-t-elle pour reconnaître la guerre du Cameroun ?
§ Pour en savoir plus, le site du livre met en ligne progressivement les documents d’archives inédits, des extraits d’interviews de témoins et de responsables, politiques et militaires, camerounais et français, de cette guerre sale : http://www.kamerun-lesite.com/
§ Présentation du livre sur le site des éditions La Découverte (introduction en ligne)
§ Compte-rendu du livre sur Rue89 : « Cameroun 1955-1962 : la guerre cachée de la France en Afrique »
Les auteurs :
Thomas Deltombe, journaliste indépendant, est l’auteur de L‘islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005 (La Découverte, 2005).
Manuel Domergue est journaliste au magazine Alternatives économiques. Jacob Tatsitsa, enseignant, est doctorant en histoire à l’université de Yaoundé-I.
Contacts :
Editions La Découverte : Pascale Iltis : +33 1.44.08.84.21 Quatrième de couverture
Pendant plus de quinze ans, de 1955 à 1971, la France a mené au Cameroun une guerre secrète. Une guerre coloniale, puis néocoloniale, qui a fait des dizaines de milliers de morts, peut-être davantage. Une guerre totalement effacée des histoires officielles. En France, où l’on enseigne toujours que la décolonisation de l’« Afrique française » fut exemplaire et pacifique. Et au Cameroun, où il est encore risqué aujourd’hui d’évoquer ce terrible conflit qui enfanta une redoutable dictature… C’est dire l’importance de ce livre, qui retrace l’histoire de la guerre menée par les autorités françaises contre l’Union des populations du Cameroun (UPC), le parti indépendantiste créé en 1948, et tous ceux pour qui la liberté et la justice s’incarnaient en un mot : « Kamerun ! ».
Pendant quatre ans, les auteurs ont enquêté en France et au Cameroun. Ils ont retrouvé de nombreux témoins : militaires français et camerounais, combattants nationalistes, rescapés des massacres… Dans les archives, ils ont consulté des milliers de documents et fait d’étonnantes trouvailles. Ils racontent comment furent assassinés, un à un, les leaders de l’UPC : Ruben Um Nyobè en 1958, Félix Moumié en 1960 et Ernest Ouandié en 1971. Et ils montrent comment l’administration et l’armée françaises, avec leurs exécutants locaux, ont conduit pendant des années une effroyable répression : bombardements des populations, escadrons de la mort, lavage de cerveau, torture généralisée, etc.
Plus de cinquante ans après la pseudo-indépendance accordée au Cameroun le 1er janvier 1960, cette histoire reste d’une brûlante actualité. Car c’est aussi celle de la naissance de la Françafrique, fruit du consensus colonial de la IVe République, puis de la diplomatie secrète de la Ve République. C’est l’histoire, enfin, d’un régime « ami de la France » en guerre perpétuelle contre son propre peuple : après vingt-deux ans de dictature sous Ahmadou Ahidjo et près de trois décennies de déliquescence sous Paul Biya, les Camerounais rêvent toujours d’indépendance et de démocratie.
Chronologie:
Les principales étapes de la « guerre cachée » de la France au Cameroun (1955-1970)
- Du 22 au 30 mai 1955, des émeutes éclatent dans les grandes villes camerounaises et sont sévèrement réprimées par le Haut Commissaire Roland Pré, qui dissout l’UPC le 13 juillet 1955 et pourchasse ses militants, contraints d’entrer en clandestinité.
- Le 18 décembre 1956, l’UPC constitue un Comité national d’organisation (CNO) pour procéder au boycottage des élections législatives et lancer la lutte armée contre l’occupant colonial. Supervisée par le Haut Commissaire Pierre Messmer, la répression s’abat sur l’insurrection, particulièrement active en Sanaga-Maritime, le cœur stratégique du pays (entre Yaoundé et Douala). Une « Zone de maintien de l’ordre de la Sanaga-Maritime » (ZOE) est constituée pour près de deux mois, au cours desquels l’armée française mène de véritables « opérations de guerre » contre les maquis nationalistes, qui feront des milliers de victimes.
- Du 9 décembre 1957 au 31 décembre 1958, le lieutenant-colonel Jean Lamberton commande la Zone de pacification de la Sanaga-Maritime (ZOPAC). Les populations locales, soumises à une intense guerre psychologique, sont regroupées dans des camps, tandis que l’armée et la police coloniales, aidées par les milices locales, traquent les maquisards.
- Du 18 janvier au 25 mai 1959, les autorités françaises installent un « Dispositif de protection dans les régions de l’Ouest-Cameroun » (DIPRO), commandé par Lamberton. Mais les militaires français, qui souhaitaient reproduire la ZOPAC à l’Ouest-Cameroun (région dite « bamiléké »), se montrent déçus par ce dispositif à vocation « défensive ».
– Face à l’Armée de libération nationale du Kamerun (ALNK), créée le 31 mai 1959, les gendarmes français se trouvent en première ligne dans un Cameroun devenu « État autonome » en janvier 1959. L’attentisme qui se manifeste à l’approche de la proclamation de l’« indépendance » n’empêche pas les forces de l’ordre contrôlées par la puissance coloniale de multiplier des opérations de répression clandestine, systématisant notamment le recours à la torture et aux disparitions forcées.
- Le 20 décembre 1959, le général Max Briand prend le Commandement interarmées des forces françaises au Cameroun (COMINTERARM). Tout au long de l’année 1960 – alors que le pays est désormais réputé « indépendant » –, il mène dans l’Ouest-Cameroun une guerre intensive visant à « reconquérir » les zones contrôlées par les combattants nationalistes. Au prix de milliers de morts, la région est ravagée par les bombardements aériens, les opérations de bouclage à grande échelle et le déplacement progressif de centaines de milliers d’habitants dans des « villages de regroupement ».
- Au 1er janvier 1961, les opérations passent officiellement sous commandement camerounais. Mais les troupes françaises restées sur place conservent des « activités opérationnelles » jusqu’au début 1962, puis se maintiennent au Cameroun, « en appui » aux forces de l’ordre locales, dans le cadre d’une « Mission militaire » qui ne sera dissoute qu’en décembre 1964.
- Au milieu des années 1960, alors que la France, dans le cadre de la « coopération », conserve toute son emprise sur le régime d’Ahmadou Ahidjo, celui-ci continue à utiliser les techniques de la « guerre révolutionnaire » enseignées par les officiers français, avec un triple objectif : discipliner les populations civiles ; écraser les upécistes en exil qui lancent des offensives depuis le Congo-Brazzaville ; et combattre les groupes armés qui résistent à l’Ouest jusqu’au début des années 1970.
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