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30.11.2006
Ngondo : Le vase sacré attend recevoir le message ancestral
Plus que quelques heures, les hommes en sanja pagne et les femmes en kaba, grande robe se retrouveront sur les berges du fleuve Wouri dimanche 03 novembre prochain, pour célébrer la traditionnelle fête de l’eau. Ce jour, comme il est de coutume, des eaux du fleuve sortira un message pour le peuple Sawa de Campo à Manfé. "Au-delà de tout, l’immersion du vase sacré et le recueillement du message des ancêtres demeurent le point culminant de la célébration du Ngondo", explique Money Akwa II, secrétaire général du Ngondo. Ouvertes le 18 novembre dernier par un culte œcuménique, les festivités du Ngondo se sont poursuivies avec plus ou moins de réussite à travers des visites de cantons, des conférences-débats, des concerts de musique. Depuis quelques jours, une exposition d’art et de photographies baptisée Ngondo Art 2006 se tient au Mukanda, siége du Ngondo à Douala.
L’immersion du vase sacré considérée comme le clou des festivités est généralement précédée de la veillée culturelle, artistique, gastronomique et sportive. Après demain, les populations Sawa vont se retrouver au Parc des princes de Bali pour le Clair de lune du Ngondo, la grande veillée. Cette nuit, en présence des chefs traditionnels Sawa et d´un parterre d’invités, l’occasion est offerte au peuple Sawa de mettre en évidence les différentes facettes de sa culture. Au menu, les finales de luttes traditionnelles, l’élection de la Tolé, Miss Ngondo, les contes, les jeux et attractions. Tout ceci dans une ambiance de musique du terroir, Esséwé, ambass- bey… Pour marquer l’évènement cette année, le thème retenu porte sur l’action, Pai o madiba. "Les présents et futurs défis nous imposent la concorde. Il s’agit donc de conjuguer nos efforts […] C’est unis et dans le même élan de solidarité, d’amour que nous pourrons construire notre communauté", ajoute Money Akwa II. Une tâche pas aisée pour sa Majesté Paul Milord Mbapé Mbwanga, président exécutif du Ngondo, une institution séculaire qui date de prés de 300 ans.
Genèse
Selon certaines thèses, le Ngondo tire son existence de la première moitié des années 1800, avant l’arrivée des premiers missionnaires. "Il y avait autrefois à Pongo, au nord-ouest de Douala, un colosse qui passait pour un titan et semait la terreur dans les marchés. On l’appelait Malobé. Il commettait toutes sortes d’abus et d’exactions… Ses principales victimes étaient les Duala stricto sensu ", a-t-on appris. Déshonorés, les dignitaires des quatre clans Duala vont se réunir. Objectif, mettre fin à cette terreur. "Cette assemblée reçut donc le nom de Ngondo, du même mot qui désigne en langue duala le cordon ombilical reliant encore le nouveau-né à sa mère, après la délivrance ". De cette alliance, les Duala tirèrent l’idée de lien devant dorénavant les unir. Ainsi, le Ngondo devint le symbole de leur unité, la concrétisation d’un front uni appelé à défendre l’honneur du peuple, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Résultat, le Goliath Malobé est finalement vaincu et la paix retrouvée.
Autre version, "le Ngondo est le nom d’une rivière autrefois appelée Tongo’a ndando, [rivière de la discrimination], symbole de rivalités entre les cantons Bell et Akwa", explique Valère Epée, historien et homme de lettres. Selon lui, il s’agit du drain situé entre l’école primaire Notre Dame et la montée de l’ancien Air Afrique à Bonanjo et qui sépare les cantons Bell et Akwa. Pour implorer la paix entre ces cantons, le peuple Sawa va régulièrement organiser, non loin de là, la messe de l’eau, le Ngondo. "Sur le banc de sable du fleuve Besseke, à l’ancienne gare ferroviaire de Douala, où allaient se jeter les eaux de cette rivière. Tout ceci peut donc expliquer la mission première du Ngondo, la pacification", poursuit-il. A chaque occasion, un "initié" descendait au fond des eaux pour recueillir les messages des ancêtres, d’où la pratique de l’immersion du vase sacré.
Tribunal
Pendant plusieurs années, l’assemblée générale du Ngondo a aussi mené des activités judiciaires. Cet organe jugeait surtout les affaires d’Etat des chefs et devait réprimer les meurtres suivant la loi du Talion. C’est ainsi qu’en 1876 Eyum Ebelè, prince de Deido, fut décapité et mis en morceaux sur un banc de sable du Wouri sur décision du tribunal du peuple. En 1883, Ndumbè Lobè, roi des Bell, est à son tour condamné par son fils, Manga Ndumbè, juge suprême du Ngondo pour avoir séquestré la femme d’autrui. L’assemblée générale du peuple Sawa va jouer un rôle politique prépondérant avant et pendant l’occupation allemande. Sous la colonisation allemande, le Ngondo sera mis sous l’éteignoir à cause de ses activités judiciaires jugées contraires à la morale chrétienne. Depuis lors, plus aucune sentence de mort n’a été rendue par le tribunal du Ngondo.
Avec la signature du traité germano –duala du 12 juillet 1884, le Ngondo sera dorénavant célébré ce jour. "Cette célébration va se heurter aux caprices du temps. La fin de l’année étant marquée par la saison sèche, la marée basse et la présence des bancs de sable sur les bords du fleuve Wouri. Pour éviter les fortes pluies du mois de juillet, la fête sera déportée en fin novembre, début décembre", explique Valère Epée. Tout au long de son existence, le Ngondo, pour s’être illustré dans la lutte pour le rétablissement des droits du peuple Sawa, va connaître le revers du colonisateur et du politique.
Sous l’administration française, à partir de 1918, le Ngondo va être tenu à l’œil. Chose impossible pour l’assemblée traditionnelle du peuple sawa, qui tient à jouer un rôle prépondérant dans les mouvements de revendications politiques de l’époque. Résultat, le Ngondo est suspendu de ses activités avec de renaître à nouveau de ses cendres en 1949. En 1977, sous le règne d’Amadou Ahidjo, président de la République unie du Cameroun, le Ngondo est à nouveau interdit. Pour ses "élans subversifs", a-t-on laissé croire. Pendant près de 15 ans, le peuple Sawa sera privé de la fête de l’eau. Puis, en 1991 le Ngondo est réhabilité par le président Paul Biya, à la suite des textes sur les libertés publiques.
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