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29.09.2005
Identité : Rudolf Douala Manga Bell
Claude-B. Kingué
Si l´on s´en tient aux manuels en usage dans nos écoles primaires et collèges, l´exécution de Rudolf Douala Manga Bell, Martin Paul Samba, Ngosso Din, Madola, le 08 août 1914 par les Allemands, est un fait marquant de l´histoire du Cameroun. Curieusement, le souvenir public qu´on entretient à ce sujet est à peine plus que confidentiel. Il semble même se ramener à une affaire privée: celle de la famille d´origine de l´un ou l´autre des mis à mort. Lundi dernier, par exemple, la commémoration du 91e anniversaire de la pendaison de Rudolf Douala Manga Bell aurait été un fait exclusivement sawa, et même bellois, si la chaîne de télévision Canal 2 ne s´y était associée. Aussi bien comme témoin que comme relais. Elle est d´ailleurs, à notre connaissance, le seul média à s´être fait l´écho de cette cérémonie. Un écho où on ne retrouve malheureusement pas la moindre trace des pouvoirs publics. Traditionnellement pourtant, ils sont l’initiateur et le moteur de pareilles célébrations. En touts cas dans d’autres pays.
L´exécution de Martin Paul Samba, elle, n´a tout simplement pas été évoquée. Sur elle s´est abattue une assourdissante chape de silence. On peut d´ailleurs craindre qu´il en soit ainsi pendant longtemps encore. Martin Paul Samba semble en effet faire les frais des déboires de Pierre Désiré Engo. Dans la catégorie des dommages collatéraux. L´ancien ministre et directeur général de la Cnps lui avait dédié une fondation. Il sera accusé, par ses détracteurs, d´avoir récupéré un nom fédérateur et de s´en servir pour ses ambitions politiques. Et depuis qu´il est en prison, on ne parle guère plus de cette fondation que de la personne dont elle porte le nom. Héros, hier, Samba semble ainsi, aujourd’hui, évité comme la peste. Perçu comme la poisse. C´est vrai: à lui, comme à Douala Manga Bell, Ngosso Din et Madola, la qualité d´héros ou de nationaliste était déjà contestée par certains milieux. Lesquels voient plutôt en eux des modèles même de l´assimilé, qui se sont davantage opposés au colon allemand pour défendre leurs intérêts personnels. Ou, tout au plus, ceux de leur communauté immédiate.
Peut-être bien. Mais cette critique a quelque chose de caricatural. En effet, peut-on considérer une personne comme un héros ou un nationaliste sans tenir compte de l´époque, du contexte dans lequel elle vit? De ce point de vue, qu´était le Kamerun (allemand), sinon une mosaïque de peuples divers? Et pour leurs chefs, qu´était la nation, sinon la communauté et le territoire sur lesquels ils régnaient? L´idée la plus partagée alors, d´un territoire et d´un peuple à l´autre, n´était-elle pas davantage celle de l´être humain que celle d’une nation camerounaise? S´opposer à l´impitoyable autorité allemande, en sachant qu´on risquait davantage de le payer de sa vie que d´avoir raison, relevait-il de la fanfaronnade, du courage ou de la déraison? Sans doute faut-il ramener Douala Manga Bell, Samba et les autres à leur dimension humaine. Mais la réserve, sinon l´indifférence, qu´on cultive à leur sujet ne procède pas de cette vision des choses. Etendue d´ailleurs à d´autres figures historiques, sinon à toutes, elle semble tenir d´une peur qui habite les dirigeants camerounais des quarante dernières années : se voir voler la vedette par des gens contre lesquels ils ne peuvent rien. Car ils ne sont plus là, et leur mort, pour la plupart, les rend invulnérables.
Soyons juste : dans l’une ou l´autre ville du Cameroun, une rue porte le nom de Douala Manga Bell. L´une ou l´autre promotion de l´Emia porte aussi le nom de Martin Paul Samba. Un jour également, M. Biya a, dans un de ses discours, rendu hommage à nos héros nationaux. Sans les nommer, hélas. Aménageant ainsi une sorte d´auberge espagnole où les héros sont ceux que chacun y a amenés. C´est-à-dire, ceux qu´il se donne. Ailleurs, cependant, à ce type d´attentions, on ajoute un devoir de mémoire dont on s´acquitte régulièrement. Avec pour principal acteur, les pouvoirs publics. Afin que la conscience nationale se transmette de génération en génération. Et que l´histoire du pays ne se réduise pas à l´instant présent. Dans ces pays-là, en effet, on est convaincu que c´est le passé, assumé comme commun, qui tisse une identité nationale. Et qu’un pays qui ne cultive pas sa mémoire compromet son avenir.
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