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04.05.2007
Pourquoi le Cameroun n’a pas décrété un deuil national ?
Par SHANDA TONME
“Mais où va donc notre pays grand frère, même si ce régime s’en fout éperdument de nous, on fait au moins le deuil non, ne serait ce que pour montrer au monde qu’il nous reste un cœur sensible pour tous les étrangers qui ont vu leurs vies sur terre s’achever sur notre terre !” Voilà comment s’exclame ce jeune étudiant venu me rendre visite très tôt le matin au lendemain de la confirmation du crash du Boeing de la Kenya Airway qui a entraîné la mort de 114 personnes dont 37 Camerounais.
Au petit matin du lundi 07 mai 2007, le point de chute de l’avion porté disparu deux jours plus tôt, était enfin repéré, après deux jours de tâtonnements, de confusion, et d’angoisses terribles pour les familles, les amis, les responsables aériens, des peuples entiers recoupant plusieurs nationalités. Dans le silence douloureux de cette circonstance morbide chargée d’émotions, c’est de la plus haute autorité du pays, symbole du paternalisme régalien qui magnifie le pouvoir de l’Etat et l’existence de la solennité de la République, que peut venir les mots qui apaisent et les gestes qui unifient les cœurs dans le chagrin.
On aura attendu en vain que le président de la République dise quelque chose. On aura attendu en vain, que le gouvernement se montre pour une fois préoccupé et entreprenant au-delà de l’expédition et de l’agitation relativement louable de quelques autorités locales. On aura attendu de voir sur place, un Premier ministre pour exposer cette autorité de l’Etat que les citoyens ne connaissent qu’à travers des harcèlements fiscaux et des motions de soutien alambiquées.
Il a suffi d’un accident d’avion au retentissement international inévitable, pour que la réalité – de ce que le Cameroun est devenu – s’affiche au monde dans toute sa nudité. C’est donc un pays nu, cru, brut et sauvage, qui est apparu aux yeux des autres pays. “Et voilà, nous nous sommes mis à repenser à ce croque - mort, un certain François Soudan, cet imbécile routinier des propagandes des régimes sales, qui une semaine avant, mettait en route à travers son chiffon de journal, une présidence à vie pour notre pays. Un malheur ne vient jamais seul.”
Je veux répondre à ce jeune étudiant, mais je ne sais plus franchement avec quels mots et quelles astuces sans périls pour son équilibre psychologique, lui dire que le Cameroun n’est plus un pays normal, et qu’il y a très longtemps que ses dirigeants ont tourné le dos à la morale universelle et aux valeurs simples de solidarité, de compassion, de partage et de dignité qui fondent la gouvernance des peuples pour les peuples. Moins de six mois plus tôt, un accident du genre, s’était produit au Nigeria voisin et le président du pays avait été le premier à s’exprimer, puis avait décrété un deuil national de trois jours.
Il ne s’agit pas seulement d’une tradition de gouvernement, il s’agit au fond, d’une révérence élémentaire et naturelle aux morts, un besoin de communion avec la conscience de la souffrance qu’endurent les êtres humains, dans la chaîne de fatalité d’un accident. Il n’existe sans doute pas dans l’histoire, d’exemple de pays où un deuil national n’a pas été décrété après un accident aussi tragique. “Pourquoi le Cameroun n’a donc pas décrété un deuil national, pour un jour, deux ou trois ?”
Les Camerounais d’abord, les étrangers vivant chez nous ensuite, et surtout le corps diplomatique, ont de la peine à comprendre, à trouver un fil conducteur dans un manquement qui frise la provocation, l’insolence, l’inconscience. Lorsque un pays devient ainsi une sorte de curiosité par sa marginalisation volontaire par rapport aux traditions et aux valeurs sacrées communes à toute l’humanité, c’est qu’il y a un problème fondamental à résoudre, un mal à extirper, un exorcisme à pratiquer.
Pourquoi ! Pourquoi ! Pourquoi donc, la plus haute autorité de ce pays n’a pas cru devoir décréter un deuil national ? Les Camerounais payeront collectivement, cette grossière défaillance. Ne serons-nous pas montrés du doigt partout à l’étranger, comme les produits de ce pays inhumain ? Ne sommes-nous pas déjà classés et catalogués par nos voisins immédiats, comme ces gens dont le chef de l’Etat n’a même pas jugé utile de participer au Sommet de la fondation de l’Union africaine ?
Le deuil est dans toutes les sociétés humaines le moment impérial qui confère à leurs membres, l’intelligibilité intangible de la solidarité devant le malheur et les épreuves de l’inconnu. On porte le deuil pour rendre à la destinée humaine son sens à la fois du mystère, de la généralité, et de l’impartialité. C’est la sanction de notre conscience permanente de notre statut de mortel. Que vous soyez président, Premier ministre, roi, chef, sauveteur, docteur ou quoi encore, vous allez mourir. La mort nous attend donc tous, et la moindre des attitudes pour rappeler à nous-mêmes et aux autres cette vérité, c’est de faire le deuil, d’honorer ceux qui partent avant nous vers ce destin sombre, de savoir accompagner leurs âmes des chaleurs de notre dernier engagement compatissant. Les générations prochaines qui se pencheront sur l’histoire du Cameroun, concluront que le pays, à l’époque que nous vivons maintenant, était dirigé par des gens bizarres, peut être même méchants pour certains, peut-être égarés pour les autres, mais sûrement pas des gens qui nous voulaient du bien.
Au Cameroun, les mœurs du parti unique régnant ont dépravé toutes les valeurs, réduit les citoyens en objets voire en esclaves, et ramené le genre humain au niveau de l’inexistant fonctionnel. Voilà pourquoi on n’a pas décrété le deuil national.
Notre colère est infinie à l’endroit des dirigeants camerounais, mais notre conviction à la sortie de ce constat de défaillance, sort plus renforcée sur l’inéluctabilité du changement politique, et la certitude d’un lendemain dominé par des grands procès. Il faudra expliquer pourquoi dans une ville d’environ trois millions d’habitants, on ne peut pas trouver plus de dix brancards dans les formations sanitaires publiques.
Toutefois, dans ce tableau globalement sombre, l’honnêteté intellectuelle nous impose de relever pour les féliciter, le travail et la haute conscience professionnelle du gouverneur et du préfet. Ils auront été extraordinaires dans tous les sens du terme.
Par SHANDA TONME Le 16-05-2007 Le Messager
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