Photo: Ernest Ouandie,Gabriel Tabeu, alias « Ouambo-le-courant », et Raphaël Fotsing
Notre devoir de MÉMOIRE
Je saisis l´occasion du quarante deuxième anniversaire du décès de Ernest Ouandié, mort fusillé le 15 janvier 1971 à Bafoussam pour honorer la mémoire de toutes nos grandes figures camerounaises et africaines.
Ernest Ouandié est une grande figure de la lutte pour l´indépendance de notre pays et des premières années de la république. La loi du 16 janvier 1991 adoptée par l´Assemblée nationale du Cameroun lui a d´ailleurs conféré le statut de héros national.
C´est aussi l´occasion de saluer la mémoire de ses camarades de lutte, les autres leaders nationalistes : Um Nyobé assassiné le 3 septembre 1958, Félix Roland Moumié, assassiné le 03 novembre 1960, Ossendé Afana assassiné le 10 mars 1966 et, au delà des frontières camerounaises : Patrice Lumumba assassiné le 17 janvier 1961 à Élizabethville (Zaïre), Amilcar Cabral, leader nationaliste de Guinée-Bissau, Assassiné le 20 janvier 1973, Thomas Sankara assassiné a Ouagadougou le 15 octobre 1987, et plus récemment, l´assassinat du Leader Libyen Kadaffi le 20 octobre 2011 à Syrte (Libye).
Avec ou sans l´aide de leurs pantins africains, l´Occident a longtemps érigé le principe de l´assassinat des leaders nationalistes africains avec pour objectif de changer le cours de l’histoire de notre continent, maintenir l’Afrique dans la dépendance et piller ses richesses sans être inquiété.
Les puissances impérialistes ont toujours fait recourt aux assassinats politiques pour affaiblir les États africains, les institutions et organismes africains. Cette lutte contre la montée du nationalisme africain continuera tant que nous n´en n’aurons pas pris conscience. L’occident mettra fin à tout élan nationaliste qui chercherait des intérêts pour notre continent.
Notre devoir de mémoire nécessite d´abord un intérêt avec intelligence et lucidité à l’héritage oublié de notre patrimoine historique national et notamment aux questions plus ou moins taboues que nous nous posons sur la réalité des mouvements de libération et le rôle joué par les différents acteurs et animateurs qui ont versé leur sang sur l’arène patriotique et dans l’intérêt de nos pays et du continent africain.
L’identité nationale est un produit historique, c’est-à-dire une réalité construite par l’histoire et ancrée dans l’histoire. Cette identité nationale est une réalité indéniable, c’est aussi une donnée complexe et évolutive qui n’a rien à voir avec le concept inepte de Camerounais de souche qui semble subtilement se profiler dans les émotions que dégagent certains de nos écrits quand nous nous aventurons dans la description de certains aspects de notre Histoire.
Nous devons focaliser notre propos sur les enjeux politiques de l’histoire coloniale qui souffre d’un manque de reconnaissance. Notre culture Nationale étant le fruit d’une alchimie féconde et cosmopolite dans laquelle se fonde des héritages et des mémoires forcément pluriels dont le fait colonial est partie prenante de l’histoire commune aux Africains.
L’une des carences actuelles reste évidemment la compréhension, l’interprétation, l’enseignement et plus généralement le mode de transmission de cette mémoire vive collective aux nouvelles générations. Notre Afro Centrisme s’abreuve aux sources du mal à travers l’intérêt que nous portons hier comme aujourd’hui à une Histoire gangrenée par les spécialistes de la désinformation qui ont l’illusion que notre Histoire peut s’écrire sans Nous. Nous sommes imbibés de culture européenne et ne savons à peu près rien de notre construction historique. C’est évidemment sur ces mots qui disent les maux que le bât blesse.
Au bout d’un demi siècle d’Indépendance, nos historiens n’ont que très rarement pris la peine de s’intéresser à la véritable histoire africaine. Pas surprenant que le bilan soit aujourd’hui accablant et que se soit déroulé le tapis rouge en terre Africaine à un désastreux discours de Dakar prononcé par le président Sarkozy en juillet 2007. Aucun argument n’excuse cette carence, ni la cécité des politiques, le manque de moyens, la lourdeur des préjugés hérités de l´histoire, l’accablement des charges universitaires, je ne résiste pas à reprendre cette exclamation de Gérard Noiriel, tant sa stupéfaction fait écho à la mienne:
« Comment pourrions-nous, dans ces conditions, éluder la question de notre propre responsabilité? » Nous ne pouvons que nous auto flageller par l’amnésie durable de nos silences éloquents. Nous gagnerons beaucoup à décrypter la confusion entre histoire et politique qui est à l’origine de tant de malentendus mais aussi d’instrumentalisations, sans oublier le débat entre mémoire et histoire, autre terrain glissant juché de controverses. Nos mémoires sont affectives et extrêmement diverses. Elles sont aussi contrastées parce que traumatisées.
Réconcilier les mémoires n’est pas une incantation politique, c’est un travail de savoir. Un proverbe africain le dit bien : Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. Souvent mis en avant par les politiques, le devoir de mémoire impose en amont un travail de mémoire, qui implique un travail d’intelligence; l’historien doit analyser les mémoires en qualité de sources respectables, mais à remettre en contexte, comme n’importe quelle autre source. Si la mémoire relève de l’affectif et installe le souvenir dans le sacré, l’histoire, en revanche, est le façonnement d’un savoir visant à reconstituer le passé de la façon la plus rigoureuse possible.
Nous devons démêler la place du passé colonial dans notre présent. Dans la plupart de nos pays d’exil, les discriminations demeurent, nous en souffrons au quotidien et les populations issues de la colonisation restent souvent perçues comme des indigènes, tout simplement parce que cet indispensable travail de mémoire n’a pas été fait, aussi bien par les principaux intéressés que nous sommes, nous autres Africains, que par les colons dont le patrimoine historique national n’a jamais inclus l’histoire des guerres d´indépendance et de nombreux massacres de nos populations, ainsi que l´histoire de la colonisation et de l’esclavage colonial. Les tentatives connues sont érigées en Lois de la République tout en allant plutôt dans le sens de la mise en lumière des bienfaits de la sinistre Colonisation.
Parler sans tabou du domaine colonial serait faire repentance, soit parce que l’ignorance ou la négligence entretenues depuis plusieurs générations font qu’il ne vient même pas à l’esprit de beaucoup que leur culture résulte de tous les héritages mêlés dans un passé complexe et cosmopolite où le fait colonial a joué et continue par ricochet de jouer un rôle important. Nous devons dénoncer la confusion entre l’histoire et la politique dont nous autres Africains sommes otages, laquelle réduit la problématique à une opposition histoire contre mémoire. Ainsi les lois dites mémorielles qui ont mal posé les termes du débat, pour prendre l’exemple de la France, ont souvent confondu la morale et le savoir, la repentance et la reconnaissance de faits avérés. L’instrumentalisation à la fois de l’histoire et de la mémoire par les pouvoirs politiques, en France comme dans les ex-colonies ne permet pas de réfléchir sur la question avec toute l’objectivité que cela requière.
En nous sentant souvent obligés de réagir par rapport à l’actualité politique du moment, nous sommes pris dans le jeu des divergences qui rendent encore plus confus le débat. Faisons œuvre utile en reconnaissant la responsabilité des acteurs concernés par les problématiques ayant trait à la mémoire, dans la constitution de nos Histoire Nationales tant sur l’histoire coloniale que sur les questions identitaires qui n´hésitent pas à refaire surface. La façon dont on les aborde en se libérant de la construction conceptuelle forgée par les colonisateurs suppose, il va de soi, que le savoir historique est objet de recherche sans jugements de valeur, sans faux souci de l’honneur national.
L’histoire n’ayant pas à être contaminée par la politique. La description de cette quasi constante confusion des domaines est très intéressante. Nous avons donc obligation de bâtir, loin de tout communautarisme différencié et séparateur, une identité Camerounaise en mouvement, et substituer au mythe national narcissique une lecture chorale du monde, en mesurant complémentarités et dissonances. En d’autres termes, un universalisme véritable que l’intégrationniste à la Camerounaise n’a pas pleinement atteint.
Quant l´histoire est écrite par les vainqueurs, c´est de la propagande qu´ils écrivent. Les historiens écrivent l´histoire, et ils ne sont historiens véritables qu´à la condition d´avoir une méthode scientifique sérieuse. Ceci étant dit, il ne s´agit pas de contester l´existence d´un événement historique, mais plutôt de le réévaluer et de l´étudier impartialement, loin de toute émotion vecteur d’une version subjective et péjorative. L´histoire n´est pas une science exacte et nous devons considérer que les personnes voient les choses de façon différentes et les décrivent selon leurs propres intérêts.
Dans l´histoire écrite par les vainqueurs pour les vaincus, mensonges et propagande sont la règle. L´Histoire forme des soldats, pas des esprits libres. Que chaque pays se fabrique donc ses victoires et ses défaites racontées par ses Historiens. L´interprétation de l´histoire est un enjeu politique, il ne faut pas s´étonner si parfois il y a de sérieuses différences d´interprétation d´évènements historiques. L’histoire de France sur la deuxième guerre Mondiale n’est pas la même outre Rhin. De l’autre côté de la Manche, on considère que Jeanne d’Arc, héroïne de France a mérité son bûcher. De même que le grand Nationaliste Français De Gaulle doit être considéré dans notre mémoire collective comme un bandit de grand chemin, fossoyeur des indépendances de nos pays.
En admettant cette réalité, il nous sera désormais facile d’avoir un regard différent sur les documentaire qui diffusent l´histoire des "indépendances" de nos pays, l´histoire des nombreux acteurs Nationalistes dont le sang a taché et souillé cette sombre période décrite par les images, les récits, et les témoignages qui sont l’œuvre de celui qui n´apparaît pas en face quand nous regardons notre miroir.
Ils sont prompts à sortir les images d´archives pour commémorer la Shoah, mais celles concernant les nuits sombres de notre histoire sont tenues secrètes et subissent la loi de leur mémoire sélective.
« L’arme la plus puissante entre les mains de l’oppresseur, est l’esprit de l’opprimé ».
Stephen Bantu Biko (Steve Biko)
" Chaque génération découvre sa mission, elle la trahit ou l´assume ». Frantz Fanon
Par Gaston Ntouba Essomè
Paris, 15. Janvier 2013