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12.04.2008

Entretiens avec Aimé Césaire 2 

Édouard J. Maunick : Tu es parti de Martinique à la fin de tes études. Tu vas en reprendre d’autres à Paris. Tu viens à Paris. Je sais que tu fais la connaissance de Senghor, tu fais la connaissance d’autres personnes aussi et puis là tu as une certaine formation. Laquelle? Je vais te la demander maintenant.

Aimé Césaire : Et bien la première chose que j’ai faite en arrivant à Paris, j’ai été m’inscrire à la Sorbonne. Et je me rappelle fort bien avoir rencontré à la Sorbonne, non pas du tout Léopold Sédar Senghor. J’ai rencontré un jeune homme d’allure très dégagée, très sympathique et qui vient à moi et me demande: D’où es-tu? Je lui dis que je suis de la Martinique. Et toi d’où es-tu? Je suis du Sénégal. Comment t’appelles-tu? Césaire. Et toi? Je ne me rappelle pas quel nom il m’a donné. Mais peut-être même déjà il m’a dit son nom de plume, ce qui était devenu son nom de plume. C’est Ousmane Socé. Je ne rappelle plus du tout s’il m’a donné son nom Ousmane Socé ou s’il m’a donné son nom d’homme, puisque Ousmane Socé est son pseudonyme littéraire. Mais je crois bien qu’il m’a dit Ousmane Socé. Et c’est lui le premier que j’ai rencontré. Et ce jeune homme était élève à l’École vétérinaire d’Alfort et que la littérature l’intéressait, qu’il avait déjà écrit un roman. Effectivement ce roman c’est Karim2 qu’il a publié depuis. Et c’est lui le premier… c’est le premier Sénégalais, le premier Africain que j’ai rencontré. C’était le lendemain je crois de mon arrivée à Paris.

J’ai commencé à préparer ma licence. J’avais un petit mot de mon professeur martiniquais Eugène Revert qui avait écrit une thèse sur la Martinique qui m’aimait beaucoup et qui m’avait conseillé de préparer l’École Normale Supérieure et il m’avait donné un petit mot pour le professeur du lycée Louis le Grand. Je suis rentré ainsi au lycée Louis le Grand. Et c’est là que quelques jours après mon arrivée à Louis Le Grand, deux ou trois jours après mon arrivée à Louis le Grand, – donc y avait une semaine que j’étais en France –, que je rencontre un second homme de couleur et c’était Léopold Sédar Senghor. Voilà comment a commencé cette amitié avec Senghor et avec les Africains que j’ai vus encore une fois pendant dix ans beaucoup plus que je n’ai vu mes propres compatriotes. Et ça aussi ça explique bien des choses je crois. Je crois que ça a modelé en grande partie ma sensibilité et ce qui fait que l’Afrique même si je ne la connais pas, concrètement pour y être allé, j’ai toujours le sentiment que je la connais parce que je l’ai connue à travers des hommes, à travers des amis. Ce qui fait que pour moi le Dahomey, c’est pas un pays étranger. Quand je dis Dahomey ça me rappelle untel qui a été un grand copain à moi. Lorsque je dis Sénégal avant même que je n’y ai été, car depuis j’y ai été, ben c’était pour moi Senghor. C’était pour moi ce qu’il me racontait. C’était pas pour moi des terres étrangères. Je peux presque dire pour presque tous les pays africains je pourrais comme ça citer des amis extrêmement chers, plus proches de moi, plus souvent que beaucoup de mes parents et qui forment le lien.


Et puis alors à ce moment-là je suis rentré à… donc à Louis Le Grand et j’ai beaucoup travaillé je dois le dire. J’ai pas honte de dire que j’ai beaucoup travaillé à ce moment-là. Je voulais savoir, je voulais connaître, j’avais bien le sentiment des lacunes de ma formation insulaire et j’ai connu là des gens extrêmement intelligents. Je dois dire que nous avons souvent pris des chemins bien différents. Je me rappelle par exemple mon ami Garnier qui a été mon camarade à l’École Normale Supérieure qui est mort au début de la guerre qui était un homme extrêmement brillant. Je me rappelle Gorce qui est devenu ministre de l’information comme chacun sait et qui est un très très bon ami chez qui j’allais travailler. Il habitait à ce moment-là au Square de l’Observatoire près de la statue du général Ney à côté de La Closerie des Lilas. C’était un très bon ami. On a souvent travaillé ensemble.

Je me souviens Goube4, Goube qui était un helléniste extrêmement remarquable et qui je crois à l’heure actuelle est inspecteur général, ou professeur de littérature, ou professeur de grec certainement, oui à Louis Le Grand ou Henry IV. Je me rappelle un homme comme Hibon5 qui a l’heure actuelle est professeur d’anglais à la Sorbonne.

Je me rappelle un homme comme Soboul, l’historien qui a été mon camarade de classe à Louis Le Grand. Je me rappelle Barrere6 qui était déjà très brillant. Vous savez qu’il est professeur… Je crois qu’il est professeur… Il a été professeur pendant longtemps de littérature française à Oxford, je crois. Je ne sais plus maintenant où il est mais enfin qui a écrit cette thèse sur Victor Hugo. J’étais de cette promotion-là et des gens qui m’ont souvent paru extrêmement remarquables dans des disciplines très diverses. Et ça a beaucoup compté aussi pour moi. Et puis, bon, ben, à ce moment-là je suis rentré à l’École Normale Supérieure et là vraiment après m’être astreint pendant trois ans ou quatre ans à une discipline académique enfin universitaire extrêmement approfondie, extrêmement sérieuse et je m’y suis astreint volontairement; à ce moment-là vraiment j’ai eu une sorte de révolte précisément contre cette discipline.

Elle m’avait apporté beaucoup. Je sentais qu’elle ne pouvait plus m’apporter grand chose et que ce que je cherchais, elle ne pouvait être obtenu que par une révolte précisément contre cette culture-là. Et c’est à ce moment-là après avoir passé ma licence, je me suis marié, j’ai commencé à écrire des poèmes et j’ai abandonné l’agrégation. Voilà comment les choses se sont passées. A ce moment-là, je suis entré en littérature et puis la guerre est arrivée. Et à ce moment-là mon évolution était marquée essentiellement par la lecture des surréalistes français. Le lien a dû être fait à ce moment-là certainement par certains Martiniquais. Des gens comme Léro, Etienne Léro, Jules Monnerot, Mesnil. Parce que eux ils étaient un peu plus âgés que Senghor et moi. En tout cas ils étaient d’une ou deux promotions avant nous. C’étaient des gens qui étaient très… Ils très bien avec Breton, avec Aragon. Et ils avaient fondé une petite revue martiniquaise, très militante qui n’a eu que deux numéros je crois qui s’appelle Légitime défense. Et ça certainement, ça ça m’a marqué. La revue n’a pas été de longue durée mais enfin son impact a été profond. C’était quand même un ébranlement. C’était une secousse. Et alors j’ai continué sur la lancée et c’était au moment où Eluard écrivait Capital de la douleur, Breton écrivait L’amour fou, etc. Et ça m’a beaucoup marqué. Et certainement ça été un tournant dans ma vie. La guerre arrive. Je me marie. Je retourne à la Martinique et alors surprise extraordinaire je rencontre Breton. Alors vraiment ça été le coup de foudre littéralement. Quelle chance extraordinaire. Breton de passage à la Martinique et nous nous laissons pas pendant un mois et ce que les livres avaient commencé et bien l’amitié, l’amitié vivante, enfin le contact humain l’achève et je deviens un surréaliste français. Mais tout en gardant quand même la tête bien nette. Je me suis jamais laissé noyer dans la littérature.

Tu n’avais pas le cou coupé.

Ah je n’avais certainement pas le cou coupé. J’étais très impressionné par André Breton que je continue à admirer énormément mais enfin il faut bien dire que ce que j’avais lu de Légitime Défense7 et qui m’avait d’ailleurs impressionné me mettait en même temps en garde. C’est peut-être l’Afrique qui m’a sauvé. C’est peut-être Senghor qui m’a sauvé. Je trouvais moi que la littérature écrite par les Noirs, par les hommes de couleur en tout cas de Légitime défense ressemblait terriblement à la littérature écrite par des français qui s’appelaient Aragon, qui s’appelaient Breton, qui s’appelaient Eluard. Alors, j’ai dit mais non! Je ne veux quand même pas changer d’assimilation. C’était encore de l’assimilation, même dans la révolte c’était encore de l’assimilation. Hors, je dois dire que l’antidote pour moi c’était précisément l’ethnographie, c’était Senghor, c’était mes amitiés africaines, c’était la lecture de Frobenius.

Alors, l’Afrique m’empêchait de basculer entièrement dans le surréalisme blanc; voilà ce que je veux dire. Et je crois que c’est ce qui distinguait ma démarche je crois de celle des surréalistes français c’est que tout ce qui pouvait apparaître enfin comme un peu gratuit chez certains d’entre eux ne l’était pas du tout chez moi parce que cette révolte elle-même était bel et bien ramenée à la situation de l’homme de couleur, la situation du Noir dans le monde, la situation du Noir à l’égard de son destin. Et les démarches surréalistes elles-mêmes j’essayais de les interpréter mais dans le cadre de la civilisation africaine. Et beaucoup de ces démarches pour moi n’étaient valables que dans la mesure ou elles me permettaient de retrouver le génie profond du moi africain. Supposez par exemple en terme bergsonien – on lisait quand même du Bergson à ce moment-là – et comment cela pouvait s’interpréter? Bon, je concédais bien volontiers que notre moi superficiel pouvait être blanc pouvait être européen mais je savais aussi qu’il y avait un autre moi, un autre moi qui était le moi profond et ce moi profond-là je savais très bien que c’était là qu’était le réceptacle de l’Afrique en moi c’était ça ma véritable richesse intérieure et si je savais gré de quelque chose à André Breton c’était que je pensais que l’écriture automatique était un moyen de rompre cette logique européenne et d’accéder précisément à ce trésor qui était mon moi profond, donc mon moi africain.

Alors progressivement, je vais t’emmener à te découvrir encore plus.

Oui.

Bon, tu as un voyage à faire. On t’offre plusieurs moyens de voyager. Qu’est-ce que tu choisis?

Je choisis toujours l’avion car j’ai toujours hâte d’arriver (rires).

Tu choisis l’avion. Bon, tu arrives dans le pays que tu as à visiter. Comment te sens-tu? Comment Aimé Césaire se sent-il dans un pays qu’il voit la première fois? Allez, on va commencer si tu veux…

Je vais d’abord au marché (rires).

Tu vas d’abord au marché.

(rires) Je ne vais pas à la bibliothèque, je ne vais pas voir les ministres, ça m’embête, mais certainement je vais toujours au marché.

Mais pourquoi tu vas au marché?

Ben parce que là je découvre le peuple. Je découvre le peuple dans ses habitudes, dans ces us et coutumes, dans sa liberté, dans sa gesticulation. Ça me paraît une très bonne approche et je suis très curieux – ce n’est pas de l’exotisme du tout – mais je suis très curieux de voir vivre les gens. Moi ça ne m’intéresse pas du tout les congrès. Bon, j’aime beaucoup la littérature mais les congrès d’écrivains ça ne m’intéressent pas du tout. Quand je vais à Dakar c’est pas ça qui m’intéresse parce que les ministres sont toujours les mêmes qu’ils soient à Dakar où qu’ils soient en Allemagne ils sont toujours les mêmes non, c’est la fonction qui le veut. Mais c’est pas là qu’on trouve la singularité d’un peuple, n’est-ce pas? Et les intellectuels eh bien, évidemment ils sont tous plus ou moins laminés par cette institution, par l’institution universitaire. Mais ce qui m’intéresse, c’est vraiment les paysages, c’est le peuple. C’est l’homme qui m’intéresse.

Qu’est ce que tu attends qu’un pays prenne de toi?

Ah ! Vraiment je ne sais pas. Je crois surtout j’ai à prendre beaucoup de beaucoup de pays. Ce que je me rappelle quand j’ai été à Dakar, bon j’adore le Sénégal, j’aime beaucoup le Sénégal. C’est un pays qui me touche beaucoup. Peut-être pour des raisons sentimentales mais enfin c’est un pays qui me plaît aussi dans sa nudité. C’est tellement le contraire de la Martinique. Mais, j’adore Dakar, c’est une très belle ville et je m’y sens parfaitement à mon aise mais j’ai toujours voulu moi connaître le reste du Sénégal. Connaître la brousse, voir le paysan. Je ne connais pas suffisamment. J’en ai une petite idée en Casamance. Le peu que j’en ai vu de la Casamance m’a beaucoup touché, m’a beaucoup bouleversé. L’Éthiopie, l’Éthiopie, je ne connais pas assez l’Éthiopie. Ça m’a beaucoup impressionné ce que j’ai vu en Éthiopie. Je regrette vraiment beaucoup de ne pas être resté plus longtemps. La Guinée, je ne la connais pas non plus suffisamment mais ça m’intéresserait beaucoup la Guinée. Le Mali, je l’ai vu trop peu. Nous passons trop vite. Nous passons beaucoup trop vite. Je sens que je passe là à côté de trésors dont je n’ai qu’une petite idée.

Et dans les pays non africains? Qu’est-ce que tu as visité comme pays et comment tu t’y es trouvé?

Pas mal, mais je ne suis pas grand voyageur en Europe, vraiment pas. Je suis persuadé que je suis absolument injuste, car je suis persuadé qu’il y a des trésors certainement partout. Mais on peut pas dire qu’il y est un appel profond. Passer de Paris à Bruxelles non on peut dire ça me… c’est pas palpitant non! Non! Je ne peux pas dire. Est-ce peut-être une influence universitaire, j’aurai aimé connaître bien l’Italie, et j’aurai bien aimé connaître la Grèce. La Grèce et l’Italie.

C’est pas parce qu’au fond tu es un peu traditionnel?

Peut-être. C’est possible. J’aimerais connaître la Grèce. Et puis la Grèce c’est… Je crois que la Grèce c’est parce que ce n’est déjà plus l’Europe, hein.

Oui.

Ah non non non non. La Grèce c’est déjà le départ vers l’Afrique. Nous sommes prisonniers d’une vision extrêmement fausse de l’histoire. Et c’est ce qui m’a frappé. Moi j’aime beaucoup l’Antiquité; [ 9?] l’antiquité grecque et l’antiquité romaine. Mais contrairement à ce qu’ont cru les classiques français ça c’est très près de l’Afrique. C’est extrêmement près de l’Afrique. Qu’est que ce polythéisme grec? Ce sont des civilisations agraires. Toutes ces civilisations agraires au fond me sont très fraternelles. Elles sont très proches de moi et c’est extrêmement près de la Martinique, c’est extrêmement près de l’Afrique. Ça! Tous ces cultes…. Quoi le culte de Dionysos, tout ce polythéisme mais c’est l’Afrique. Je suis bien persuadé que la grande révolution rationaliste n’est pas encore faite et qu’à ce moment-là effectivement, à ce moment-là l’Europe et l’Afrique et nos pays sont encore très proche.

Je te disais que je t’avais un petit peu tendu un piège parce que je voulais que tu me parles des États-Unis. Que tu me parles de l’Amérique. Car je me souviens j’avais dans le temps écrit un petit article sur toi où j’avais dit que Césaire était un poète de l’Amérique Française. Qu’est-ce que ça représente pour toi l’Amérique avec tout ce potentiel, non seulement économique mais avec tout ce peuple grouillant et…?

Si l’Afrique est pour moi un continent [12?] maternel, l’Amérique anglo-saxonne m’effraye. Ce n’est certainement pas un pays qui m’attire. Pour moi c’est le pays de la peur. Pas l’Amérique du Sud parce que l’Amérique du Sud et les Antilles c’est là même chose. Mais vraiment je suis aussi peu que possible accessible à la civilisation américaine, à l’anglo-saxonne.

Je pense d’ailleurs que ça s’explique très bien. C’est parce que au fond je suis un paysan. Je ne vais pas me vanter d’être un paysan, – en train de labourer mon champ –; ce serait de la démagogie. C’est pas vrai. M’enfin mes ascendances sont paysannes et je suis d’un milieu paysan et je vois bien que je suis en communion avec la terre. Au fond c’est ce avec quoi je suis en accord. Et alors cette civilisation industrielle qu’elle soit américaine, qu’elle soit… elle me dépasse, elle m’écrase, j’y suis perdu, plus que dans la forêt vierge et j’y suis malheureux. Il n’y a aucun appel vraiment vers les États-unis pour moi. J’ai eu souvent l’occasion d’y aller. On m’a invité à donner des leçons dans des universités. Je suis de très près la lutte des nègres américains… qui est un des très grands phénomènes du monde actuel. Mais je dois dire, je n’ai pas de sympathie pour la civilisation de ce pays-là.

Oui. Ce qui me porte à te poser une autre question à propos des États-Unis. Cette question concerne le jazz. Aimé Césaire doit écouter de la musique. Nous allons en parler.

Non, je n’écoute pas de la musique.

Tu n’écoutes jamais de la musique?

Non, je n’écoute pas de musique. C’est une de mes grosses lacunes. Mais effectivement, c’est la seule musique que j’aimerais. Il m’arrive d’en écouter parce que j’ai chez moi des fans littéralement – qui connaissent très bien autant que je puisse en juger – le jazz. Mais je ne la connais pas bien. Je ne la connais pas bien. Mais effectivement c’est la seule musique peut-être qu’il m’arrive d’écouter et qui me touche. Mais là j’avoue humblement cette profonde lacune.

La grande musique symphonique ne te dit rien?

Non. Je la connais très mal et je ne peux pas dire que cela m’ait marqué.

Raconte-nous une journée d’Aimé Césaire? D’abord à Paris. Et puis on verra la journée en Martinique.

Mais non, mais non, ça ne se raconte pas du tout.

Qu’est-ce que tu fais le matin? Comment tu t’occupes? Est-ce que tu aimes le téléphone ou pas?

Ah j’ai horreur du téléphone. J’ai horreur du téléphone. Ça me fatigue, ça m’épuise. D’abord y a pas le contact direct avec les gens. C’est froid. C’est impersonnel. Non je n’aime pas le téléphone, décidément.

Ma journée ne se raconte pas. D’ailleurs plus je vais, plus je vis à Paris, moins je me sens parisien. C’est curieux. Il me semble que lorsque j’avais dix-huit ans ou que j’avais vingt ans je m’y plaisais plus. Maintenant non je suis… je me considère à Paris j’y vais le plus souvent finalement dans l’année, mais je m’y considère un peu comme un émigré. D’ailleurs, je dois dire impartialement que je ne sais même pas si je serais tellement mieux chez moi m’enfin mais peu importe. Je me sens ici comme un émigré. On ne s’y fait pas. Le progrès se ferait plutôt en sens inverse.

Quand tu es chez toi et es-tu un réveil-matin ou ce qu’on appelle un dépotron-minet. Es-tu debout ou es-tu un couche-tard? Comment regardes-tu ton pays quand tu es chez toi?

Non! Je me réveille tôt en général. Je me couche tôt et je me réveille tôt. Je dois dire que maintenant tout est faussé il faut bien le dire par le fait que je suis devenu un homme politique. Et ça je dois dire c’est la chose que je reprocherais le plus enfin à la vie politique c’est que elle ne me permet pas de mener à la Martinique la vie que j’aurais aimé mener.

Et quelle est cette vie-là

Cette vie?

Ta journée idéale?
C’est un petit peu un devoir d’étudiant que je te donne à faire.

Oui ! C’est un petit peu ça

Oui.

Il faut vivre sans plan. Il faut vivre… Il faut vraiment se laisser aller. Il faut être spontané. Il faut cueillir la minute, n’est-ce pas; comme elle se présente. Je ne crois pas du tout que je me ferais un plan préétabli, oh pas du tout. J’aimerai une vie qui soit d’instant en instant et de découvertes en découvertes.

Pour toi une journée c’est pas un temps à passer?

Oh certainement pas. Oh certainement pas; au contraire. Disons dès le matin on me dit que j’ai quelque chose à faire à 17 heures ou à 18 heures et bien toute ma journée est fichue parce que ça y est, le pourrissement s’y installe parce que y a cette chose que je dois faire.

C’est chez Aimé Césaire je suppose un sens de liberté déjà?

Peut-être. [15?] Je crois que tu as mis le doigt sur quelque chose qui est très important. C’est curieux, je me sens très sauvage. Je me sens à la Martinique je dirais, je me sens très nègre-marron. C’est la chose que je n’ai jamais pu supporter. C’est un très grand défaut en même temps. J’ai horreur de la sujétion d’une part, j’ai horreur de la contrainte. Je me plie extrêmement mal et je suis aussi malheureux que possible d’être obligé de me conformer à un certain nombre de chose – bon dans la vie il faut quand même le faire – Et bien je supporte ça très mal. Je dois dire que c’est ça qui explique bien des choses dans ma vie, bien des tournants que j’ai pris.

Lorsque les Indiens par exemple dans certains cas – Les Indiens d’Amérique – ils savent que faire mais ils prennent la fuite brusquement on ne sait pas pourquoi. Et bien c’est un peu mon cas. Et dans des partis politiques, dans des choses comme ça par exemple et bien un beau jour, parce que j’encaisse, j’accepte, je subis, je me domine, je dis «be cool baby, be cool», bon, on encaisse et puis brusquement alors le volcan se réveille et toute ma vie ça été comme ça. En impulsions extrêmement brusques et les gens superficiels considèrent comme inattendues. Ce n’était pas si inattendu que ça. Ce sont des réactions peut-être de gens du peuple de chez moi. C’est possible, c’est très possible.

S’en aller!

S’en aller, foutre le camp, tout briser, et puis zut. Et puis on en a assez et c’est fini.

Pour toi il y a quand même je crois et c’est important l’espoir de recommencer quelque chose de neuf. Sans cela je crois que tu ne serais pas.

C’est juste. J’ai toujours cet espoir qui est peut-être un espoir animal, parce que c’est lié au biologique. Ce n’est pas de la raison, ça. C’est de l’ordre de l’instinct. Toujours le sentiment, bon ben qu’il y aura un autre jour, qui aura une autre chose, qui aura un monde neuf, qui aura un autre soleil. Et que ce que nous vivrons-là eh bien, ça ne peut être qu’une étape et puis la caravane passera, enfin. Il y a toujours cette idée de voir se lever à l’horizon un autre soleil.

Toi Aimé Césaire puisque nous avons parlé d’espoir quand tu regardes autour de toi le monde contemporain, le monde dans lequel tu vis il y a certaines choses qui nécessairement doivent te dépasser, d’autres que tu as acclimatées et d’autres encore que tu essayes de comprendre. Qu’est-ce que tu essayes de comprendre dans ton siècle quand tu regardes autour de toi?

Et bien. Qu’est-ce que j’essaye de comprendre? Ce sont les éternelles questions qui angoissent l’Homme. La vie, l’histoire. D’où venons-nous? Où allons-nous? L’histoire n’est pas facile à comprendre. Et tu parles de choses qui me dépassent ou qui me déplaisent ou qui me plaisent. Je ne suis pas un optimiste béat. Pas du tout. Je ne broie pas du noir systématiquement, mais je me crois très lucide et j’apprécie très net les difficultés que nous traversons, les hommes, les peuples. Je ne me fais pas beaucoup d’illusions, même pas sur les miens – il ne faut pas du tout croire – je suis extrêmement sévère sur les peuples antillais. Ça ne signifie pas que je n’aime pas. Au contraire. Peut-être je suis très exigeant dans la mesure même ou j’aime beaucoup mon peuple. Sur l’Afrique, je suis loin d’être optimiste.

J’avoue que j’en suis angoissé de la situation et de l’Afrique et des Antilles. Mais ça c’est la raison. Parce que je me veux lucide. Et alors seulement, je disais qui y a autre chose; il y a quand même cet espoir qui relève du biologique et du vouloir vivre. Ce qui fait que malgré tout, malgré tout ce que l’on dit, malgré la situation des Antilles que je connais mieux que personne, malgré ce qu’on peut écrire sur l’Afrique. Certains qui disent que l’Afrique est mal partie, d’autres même qui vont même plus loin encore qui disent est-ce que l’Afrique peut partir, malgré tout et quoique leurs chiffres soient vrais, quoique ils aient raison enfin dans le discours malgré cela je crois, et parfois je peux presque dire que je sais que les Antilles seront sauvées et que l’Afrique s’en sortira. Malgré les experts.

J’aime beaucoup la véhémence avec laquelle tu viens de parler parce que ça va pouvoir me…, ça me donne l’excuse de parler de ton caractère. Quel trait de ton caractère que tu aimes le moins. Commençons par le négatif.

Ah ! D’abord, je suis très timide. Je suis extrêmement timide.

Comment l’as-tu su que tu étais timide?

Ah je le sais bien que je suis timide! Parce que le contact avec les autres c’est pour moi toujours une grande difficulté. Je me sens affectueux d’ailleurs en général mais ça ne fait rien, je suis timide. Je suis bien avec mes amis. Mais à la seule idée d’aller dans le monde, d’aller voir des gens que je ne connais pas, moi, c’est pour moi épouvantable. Bon, je suis très certainement orgueilleux, pourquoi pas le dire. Je ne me crois pas du tout vaniteux par contre parce que vraiment – je suis très franc – j’ai ça en horreur. Je n’aime pas du tout la vanité, je n’aime pas le cursus honorum. Le fait que le hasard c’est vraiment le hasard de la vie a voulu que j’ai été élu maire, j’ai été élu député. Ce sont vraiment pour moi des charges épouvantables et je dois prendre beaucoup sur moi-même pour accepter de jouer le jeu, enfin. Ce n’est pas des choses que j’aime. Je me crois très orgueilleux, je me crois très orgueilleux parce que si y a une chose que je n’ai jamais supportée, et c’est orgueilleux. Je crois que cet orgueil se comprend très bien – c’est pas lié à la vanité – à cause de la situation dans laquelle nous nous trouvons sociologiquement.

Y a une chose que je n’ai jamais pu tolérer c’est vraiment, c’est l’humiliation. Alors moi les choses qui m’ont humilié et bien je ne pardonne jamais et il m’arrive parfois la nuit étant réveillé par le souvenir d’une humiliation que j’ai subi il y a 30 ans. Et peut-être même que la personne qui m’a humilié ne le sait même pas.

L’injustice t’empêche de dormir.

Ah ! c’est épouvantable. Là vraiment. Je suis parfois étonné. Je dis je croyais avoir oublié ça. Et puis je sens que la blessure est encore là. J’ai pas supporté ça. J’ai horreur du paternalisme. Des gens qui me tapent sur le dos. J’ai ça en horreur. J’ai ça en horreur et je vois très bien à quoi je pense.

Oui oui moi aussi je vois.
Et quel est le trait de ton caractère puisque tu te connais très bien. Quel est le trait de ton caractère que tu aimes? Je sais que c’est difficile de répondre.

Que j’aime. Mais je pense que je ne veux de mal à personne. Je me crois bon. Est-ce une qualité c’est un peu bête. M’enfin certainement j’ai toutes les peines du monde à imaginer un être méchant, un être méchant et cruel et cela me révolte profondément
 

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