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25.10.2006
Eugène Njo-Léa : Au bout d’une triste prolongation…
Dans les milieux de football, heureusement, on ne l’a jamais oublié. En France comme au Cameroun! Ce sont en effet l’Association des footballeurs camerounais (Afc) et l’Union nationale des footballeurs professionnels de France (Unfp) qui ont pris en charge les frais d’hospitalisation et d’opération de Eugène Njo-Léa, pour près de 3,5 millions de Fcfa, selon le témoignage de David Mayebi. Le président de l’Afc estime que "c’est un monument du football camerounais qui disparaît. Et d’ajouter : nous continuerons le combat de la défense des intérêts des footballeurs dans lequel il s’était tant investi".
Njo-Léa meurt à 75 ans, après s’être alité pendant près d’un an à Douala. Dr Philémon Tamo, le médecin assermenté de l’Afc, qui a diagnostiqué son mal au départ, indique que l’ancien professionnel de Saint-Etienne, de Lyon et de Racing club de Paris, souffrait d’une fracture du col du fémur. "A cet âge, le malade devient forcément grabataire. Nous avons prescrit une opération que sa famille a réalisée dans un établissement hospitalier de la place. L’opération s’était bien passée, et il avait regagné le domicile familial où l’on est venu nous annoncer qu’il est décédé dans la nuit de dimanche à lundi 22 octobre", précise le médecin. Nous qui avons côtoyé cette légende du football ces cinq dernières années, percevions quand même le déclin progressif de l’homme, chaque fois qu’il nous rendait visite au siège de Mutations à Yaoundé, ce qui lui arrivait régulièrement tant qu’il sentait quelques forces le soutenir.
Crépuscule d’une idole Son déclin était visible dans la mise de plus en plus négligée de cet ancien diplomate (il faisait par exemple partie de la délégationcamerounais lors de la commission mixte Nigeria-Cameroun du 12 au 14 mai 1970 sur le tracé des frontières entre les deux pays) et dans la démarche laborieuse, à la limite de la claudication, pour un ancien sportif de haut niveau. Pourtant, à chaque occasion, sa source d’inspiration était intarissable quand il s’agissait de parler du football, ce sport qu’il a adoré jusqu’à y sacrifier ses économies dans un rêve fou d’instaurer le football professionnel au Cameroun et même en Afrique. "Je voulais que notre continent se donne les moyens de gagner une Coupe du monde.
Je voulais sensibiliser tous les gouvernements sur la nécessité d’organiser le football, qui peut être une matière première très rentable pour les pays en développement. J’ai fait, à mes frais, le tour de l’Afrique pour cela. Mais le premier chef d’Etat à me soutenir n’était pas un Africain: c’était le Français Georges Pompidou", nous confiait, dépité, en octobre 2001, Eugène Njo-Léa. Et de poursuivre, toujours amer: "Je me suis aperçu que les dirigeants africains avaient leurs priorités ailleurs. Ils sont incapables de prendre des décisions et, davantage, de les exécuter. J’ai compris pourquoi mon ami Diallo Telli disait que l’Oua est un cimetière de résolutions".
Déçu en Afrique, Njo-Léa va se rabattre avec son projet de professionnalisme sur son pays, le Cameroun, où il ne rencontrera guère plus de sympathie. "J’ai rencontré des oppositions de toutes parts. Et je dois remercier le bon Dieu, parce que je pense que ces gens étaient capables de tout, même de me faire disparaître physiquement". Quand il rentre au bercail en 1987 avec le projet de football professionnel dans ses bagages, Eugène Njo-Léa débarque avec quatre clubs professionnels français (Lens, Nancy, Laval et Reims) pour un tournoi à Noël baptisé Cifoot, accompagné d’une quarantaine de journalistes. Dans ses valises également, un engagement écrit de la Société des banques suisses, qui se disait prête à financer l’opération; sans oublier l’accord des sponsors et des équipementiers…
Il voulait juste la caution des autorités camerounaises et l’aval de la Fédération camerounaise de football, et il ne les aura jamais! Il rapporte volontiers cette anecdote: au cours d’un dîner organisé par l’ancien ambassadeur de France à Yaoundé, Yvon Omnes, le ministre des Sports de l’époque confie au diplomate français qu’il va nommer une commission pour étudier le projet de Njo-Léa. Et Denis Ekani, alors secrétaire d’Etat à la Sécurité intérieure, qui prenait part à ce dîner avec une dizaine d’autres membres du gouvernement, de demander à son collègue: "Monsieur le ministre, voulez-vous faire croire que vous avez dans votre département des experts qui peuvent juger un projet sur le football professionnel élaboré par M. Njo-Léa?"
Footballeur et diplomate Plus que jamais, le comité créé était destiné à tuer le projet. Son géniteur, qui avait sué sang, eau et argent pour le monter, s’en mordait encore les doigts jusqu’à son dernier souffle. Il nous confiait encore, l’émotion pleine dans la voix: "Si je meurs maintenant, sans que ce projet aboutisse, je m’en irai très triste. J’aurai le sentiment de n’avoir pas donné à mon pays tout ce que j’aurais pu lui apporter". Il est effectivement mort comme ça, avec son projet de football professionnel au poids mort… Boursier de l’Etat camerounais, Eugène Njo-Léa quitte son pays en 1951 après l’obtention du Bepc au Collège moderne de Nkongsamba, l’ancêtre du lycée de Manengoumba. Il n’a guère le temps d’évoluer que pendant six mois à Vent Lalanne, un club de Douala créé par un expatrié français. Arrivé en France, il joue dans un club régional, Roanne, juste pour le plaisir, puisque le motif de son arrivée en Hexagone est de poursuivre ses études. Mais, dès son premier match, il inscrit 11 buts à lui tout seul sur les 12 filés à l’adversaire. Cet exploit ne laisse guère l’As Saint-Etienne indifférent qui l’enrôle dès que Njo-Léa s’inscrit dans le lycée de la ville. Il fait partie de l’effectif qui remporte, en 1957, le premier titre de champion de France de l’histoire du club stéphanois.
Puis, les études supérieures l’amènent à 60 kilomètres de là, à Lyon (Saint-Etienne n’avait pas d’université). Il continue à jouer pour les Verts, mais fatigué de faire des va-et-vient entre les deux villes, il enfilera aussi le maillot de l’Olympique lyonnais. Dans la capitale des Gones, il a le temps d’obtenir le diplôme d’études supérieures en droit public, avant de monter à Paris où il s’inscrit à l’Institut des hautes études d’Outer-mer. C’est aussi l’occasion de porter le maillot rayé de Racing club de Paris. Devenu diplomate stagiaire à Rome, il essaye au début de continuer à jouer pour Racing de Paris. Mais l’exercice d’équilibrisme entre deux activités n’a pas résisté entre deux pays, et Njo-Léa raccroche ses godasses pour embrasser définitivement une carrière de diplomate, qui l’amènera dans quelques ambassades du Cameroun en Europe et auprès du secrétaire général de l’Oua, son ami guinéen Diallo Telli.
Le football, il en garde évidemment un goût amer avec son rêve brisé de football professionnel et le fait que des coups bas administratifs aient empêché son fils unique, William Njo-Léa, de porter les couleurs des Lions indomptables. Mais l’homme à l’humour décapant en a gardé aussi de très bons souvenirs. Comme quand il est deuxième meilleur buteur du championnat de France en 1957, derrière la légende Just Fontaine, comme quand il joue contre son idole Pelé au cours d’un match de gala en France, comme quand il fait partie des fondateurs (eh oui, France Football l’a confirmé!) de l’Unfp, le puissant syndicat des footballeurs professionnels en France. Du football, il disait surtout avoir appris deux principes de vie: "1. quand on commence une entreprise, il faut aller jusqu’au bout, jusqu’au coup de sifflet final; 2. quels que soient sa force et son talent, on ne peut rien faire tout seul". Comme ça sonne vrai au lendemain de sa disparition!
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