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16.07.2007

Ebenezer KOTTO ESSOME : l’homme et son rêve d’Afrique 

Ebenezer Kotto Essome : l’homme et son rêve d’Afrique (Kä Mana)

Pour donner une idée globale de la place du camerounais Kotto Essome dans la vie intellectuelle africaine, il convient de dire qu’il est aux recherches philosophico-spirituelles de notre continent ce que Cheikh Anta Diop y est aux sciences humaines, Nelson Mandela à la politique et Oscar Bimwenyi-Kweshi à la théologie africaine. Cet homme a été un inépuisable semeur d’idées, un défricheur de nouveaux champs de recherche et d’action, un fondateur d’école de pensée et un Maître de la sagesse et du savoir.

Mort trop tôt pour pouvoir donner toute la mesure de son intelligence et de son imagination spéculative, il a juste eu le temps de donner à voir les grandes orientations de pensée et d’action que ses disciples développent aujourd’hui encore avec ardeur et opiniâtreté.

L’homme avait quelque chose d’un gourou fascinant. Après s’être spécialisé en logique formelle et en épistémologie, il avait acquis la stature de grand maître du savoir, de grande référence intellectuelle pour les jeunes africains qui fréquentaient les universités françaises dans les années 60-70. Habitué aux cercles élitistes de la Sorbonne et aux grands débats théoriques dont la France post-coloniale était devenue le centre après Mai 68, il s’était peu à peu intégré dans la franc-maçonnerie française où des dons exceptionnels promettaient une longue et fulgurante carrière dans la « bonne société» occidentale et plus tard, sans doute, dans la nouvelle élite dirigeante de l’Afrique post-coloniale.

UNE AMBITION POLITIQUE A DIMENSION PANAFRICAINE

Conscient de ses atouts et des horizons qu’ils lui ouvraient, Kotto Essome nourrissait une ambition politique à dimension panafricaine et se préparait à en poser les bases théoriques et stratégiques quand la mort l’a fauché. Seuls ses disciples les plus proches ont su en ce moment-là que l’Afrique venait de perdre une personnalité de génie dont il fallait perpétuer le souffle et la puissance d’esprit.

Ils ont recueilli ses écrits, ont rassemblé ses dires et se sont organisés dans un mouvement socio-culturel et politico-spirituel qu’animent le Cercle de recherche sur les valeurs africaines (CERVA) dont les figures de proue (Martin Mansonsa-wa-Mansonsa, Athanase Matungulu Kaba, Ntoh-Ntoh et Cabakulu Mwamba), aujourd’hui dispersés en Afrique, sont à pied d’œuvre dans la recherche égyptologique africaine.

L’idée centrale de Kotto Essome a été de rassembler, dans un seul et même sillon, les trois dynamiques directrices de sa personnalité profonde: - une approche rigoureuse des problèmes sociaux et spirituels de l’Afrique, dans le but d’y apporter des réponses décisives pour sortir de la crise et inventer l’avenir. - une volonté de connaissance approfondie des dynamiques des sociétés secrètes et des organisations occultes ou semi-occultes du monde occidental inspirées par la foi chrétienne comme arme de domination du monde; - une volonté politique d’organiser les Africains pour une action commune d’envergure, capable de changer la vie et la destinée du continent.

Ces trois éléments ont conduit le philosophe camerounais à se donner une certaine image du christianisme dans son destin en Occident et dans le rôle qu’il a joué en Afrique.

Kotto Essome et ses disciples ont construit cette image à partir des faits indubitables visibles dans l’Afrique post-coloniale: - l’aliénation massive des élites dirigeantes qui ont donné leur âme à l’Occident et à la foi chrétienne telle que l’Occident l’a théorisée à leur intention dans l’espace colonial de la mission chrétienne; - l’incapacité des peuples africains de se libérer de la domination occidentale dont leurs pays sont victimes dans les champs économique, politique, social, culturel, et spirituel; - la crise généralisée qui paralyse les énergies d’inventivité et de la créativité pour bâtir une nouvelle société; - le sentiment de fatalité et de démobilisation dont souffre l’Afrique au moment où elle a besoin d’une dynamique profonde de confiance en elle-même face à l’avenir.

C’est pour affronter ces faits nuisibles à la société africaine que Kotto Essome s’est attaché à étudier les énergies qui donnent à un peuple la puissance nécessaire à la bataille de la libération et du développement.

LA PLACE DE LA CONNAISSANCE RELIGIEUSE

Analysant l’expérience du monde occidental dont il a maîtrisé les arcanes théorique et pratiques, le philosophe camerounais met en lumière la place centrale de la connaissance et de l’organisation religieuse dans l’histoire de l’Occident. Une histoire où les mouvements ésotériques et les institutions ont constitué un arrière-fond créateur dont les exotériques des églises et de leur mission sont l’autre face d’une même réalité. Même lorsque la société se laïcise et se libère apparemment du joug de la religion, elle reste profondément structurée par des valeurs, des forces et des énergie dont les dynamiques sont ancrées dans la foi au destin de l’homme, c’est-à-dire à sa capacité de dominer le monde dans sa totalité.

Par son expérience de la franc-maçonnerie occidentale, Kotto Essome a compris que l’arme du religieux s’utilise même dans un monde laïcisé : elle prend la forme d’une volonté de domination et d’organisation qui fait la force de l’Occident. De là le constat établi par le philosophe camerounais : un peuple qui veut un grand destin dans le monde doit enraciner son action dans une foi fondamentale en des énergies spirituelles qui constituent son identité profonde.

PUISER DANS L’EGYPTE PHARAONIQUE

En quoi constituent ces énergies pour l’Afrique actuelle ? La réponse de Katto Essome est sans équivoque: dans la redécouverte des forces spirituelles profondes de l’Egypte pharaonique, fondement de la religion africaine.

L’intention ici est d’entrer dans l’univers spirituel pharaonique pour y puiser l’énergétique nécessaire à la créativité, à la libération et à la renaissance de l’Afrique.

De même que l’être spirituel de l’Occident est fondé sur la foi en Jésus-Christ qui s’est sacralisée à travers les organisations comme les églises, puis laïcisée dans des divers ordres de réflexion et d’action sociale, l’être spirituel de l’Mrique aura à se fonder sur l’énergie d’Osiris comme centre d’une dynamique globale de créativité. Une dynamique que les Africains devront incarner dans la force des institutions sociales et des organisations secrètes d’inspiration pharaonique.

Le couple Christ-Osiris mérite une précision conceptuelle. Aux yeux de Kotto Essome, il s’agit, non pas des êtres à définir selon une analyse historico-critique de leur existence et de leur message, mais plutôt des foyers énergétiques dont l’ambition essentielle est de changer le monde et la société.

Le foyer Christ, c’est la divinisation de l’homme et l’humanisation de Dieu selon une économie complexe qui intègre toutes les dimensions de la vie, en vue de la domination spirituelle et matérielle de la réalité. L’intelligence occidentale du christianisme s’organise autour de ce foyer dont la logique ultime conduira à l’idée de mission civilisatrice et d’expansion du christianisme jusqu’aux confins de la terre. Dans un tel foyer énergétique, il ne faut pas s’étonner de voir la puissance de divinisation de l’homme et de l’humanisation de Dieu dégénérer en un projet colonial ou néo-colonial dont l’Afrique a été victime dans sa relation avec le monde Occidental. Mise au service d’une culture et d’une civilisation dont l’ambition est d’être le phare de l’humanité, cette puissance ne pouvait qu’être subvertie en dynamique de domination et d’asservissement des peuples.

Dans le but de contrer les forces négatives de cette dégénérescence, l’Afrique est appelée à lui opposer son propre foyer énergétique : la figure d’Osiris. Historiquement connu comme un roi conquérant venu des régions soudanaises pour fonder un empire dans le delta du Nil, Osiris a, en même temps, un Statut divin de Dieu-Ancêtre, celui grâce à qui l’humanité tout entière accède à la civilisation», pour reprendre le mot d’Essoh Ngome. Plus profondément, sa figurée sert de principe d’être dans une vision du monde où le visible et l’invisible, l’homme et l’environnement, le passé et l’avenir, la vie et la mort, le mâle et la femelle, l’intériorité et l’extériorité, sont en équilibre constant et en harmonie relationnelle permanente. Dans la mesure où ce principe d’équilibre et d’harmonie est au fondement de la vision pharaonique, et donc africaine du monde, il constitue l’humus spirituel de la vie pour les Africains aujourd’hui.

LIBERER LE CONTINENT

Mais le plus important pour 1’Afrique n’est pas la redécouverte de ce principe. C’est plutôt son incarnation concrète dans une structure de personnalité et dans les institutions socio-politiques capables de libérer le continent des maux dont il souffre et qui anémient son énergie créatrice.

La création d’une personnalité et d’une société «osirisiennes », tel est l’horizon ultime de la pensée de Kotto Essome.

D’un point de vue théologique et christologique, cette pensée a donné lieu à trois interprétations divergentes sur les relations entre le christianisme et le néo-pharaonisme africain. - La première interprétation prône une opposition radicale entre l’Afrique et la figure du Christ telle qu’elle a servi de foyer énergétique à l’Occident colonisateur et néo-colonisateur. Rompre avec ce Christ, revient, en fait, à abandonner la foi chrétienne dans son projet occidental pour refonder l’Afrique sur les valeurs spirituelles « osirisiennes ». Beaucoup de membres du Cercle de recherches sur les valeurs africaines (CERVA) s’inscrivent dans cette mouvance de la rupture. La compromission du Christ avec l’Occident est telle, à leurs yeux, qu’il n’est pas utile, pour l’Afrique, de bâtir sa foi en l’avenir sur cette figure du Messie. - La deuxième interprétation consiste à mettre le principe Christ et le principe Osiris en dialogue. Cela revient à dissocier la personnalité et le message du Christ de leur reprise philosophique, théologique, sociologique, spirituelle et même militaire par l’Occident. L’historien F. Kange Ewane se situe dans cette perspective du dialogue lucide avec l’Evangile de Jésus-Christ. Il refuse de jeter le bébé avec l’eau du bain, selon l’expression de la sagesse populaire. - La troisième interprétation consiste à vouloir intégrer la figure du Christ et l’ensemble de son enseignement dans la figure d’Osiris comme fondement du néo-pharaonisme spirituel. Dans cette perspective, le Christ, c’est Osiris mal digéré par l’Occident, Osiris enchaîné par une culture à laquelle il convient maintenant d’expliquer son sens véritable. C’est le fond de la pensée de H. Essoh Ngome.

Actuellement, toutes ces interprétations des idées de Kotto Essome ont cours dans les cercles d’études égyptologiques en Afrique. Elles servent de base aux lectures théologiques que la galaxie néo-pharaonique africaine fait de la figure de Jésus de Nazareth, de son rôle et de son héritage dans notre continent.

Kä Mana
Philosophe et théologien congolais


Ebenezer Kotto Essome

http://www.lepotentiel.com/afficher_article.php?id_edition=&id_article=43595

Martin Massonsa wa Massonsa :
« Le professeur Kotto Essome a laissé au monde une pensée fondamentale qui s’appelle l’endocentrisme »


Par Freddy mulumba kabuayi

S’il est de penseurs qui ont laissé un important héritage au monde, le professeur Kotto Essome en est un. « Maître Kotto Essome nous a légué une pensée fondamentale qui s’appelle endocentrisme », a déclaré d’entrée Martin Massonsa wa Massonsa, son disciple. Monument de la pensée africaine, il a passé toute sa vie en s’interrogeant constamment sur la vision du monde des autres, et de l’Afrique. « Lorsque le professeur Essome est rentré dans le tréfonds, c’est-à-dire dans le souterrain de la culture africaine, il a découvert que l’Afrique a une vision du monde qu’elle a donnée au monde », a-t-il révélé. Interview avec M. Massonsa wa Massona. Il dirige le Centre d’études et de recherches sur les valeurs africaines, à Kinshasa.

Vous êtes parmi les disciples de Kotto Essome, un grand penseur qui a laissé un important héritage à l’Afrique. Comment l’avez-vous connu?

Merci beaucoup pour l’occasion que vous m’offrez de pouvoir parler enfin de notre maître Kotto Essome. Nous nous sommes connus à Paris, il y a trente ans de cela. Il était professeur à l’Université de Jussieu. J’étais chargé de cours à l’université de Paris XXII. Nos chemins se sont croisés à la suite d’une conjonction de faits. Spécialiste des questions de transports, je me suis rendu à Londres pour présenter une communication dans le cadre de différentes communications de cherchers au niveau mondial. Ma communication a été acceptée par le Comité scientifique mondial.
C’est ce qui m’avait permis d’aller à Londres pour exposer mon travail sur le système géométrisé de transports en Afrique, en particulier le cas du Congo, à l’époque Zaïre. Je voudrais rappeler que c’est là aussi que j’avais été primé comme consultant, comme expert en matière de transports.

De retour de Londres, j’ai rencontré un ami qui m’a parlé du professeur Kotto Essome. C’était en 1978. Deux ans plus tard, en 1980, lorsque j’ai rencontré le professeur, il venait de publier « L’Afrique ou l’identité perdue ». Mon ami qui était un économiste – il travaillait à l’Ins, Institut national de statistique de France – m’a convié à une conférence du professeur Kotto Essome à Montparnasse. Nous nous y sommes rendus et j’étais vraiment fasciné par la profondeur du travail présenté par le professeur Kotto Essome. C’était dans la lignée du professeur Cheik Anta Diop, un autre maître qui avait aussi publié beaucoup dans le domaine intéressant particulièrement la réappropriation par les Africains de leur identité et de leur dignité...

Mais, comment l’avez-vous connu, lui qui était Camerounais ?

Vous me dites qu’il est Camerounais, mais je vous réponds que c’est un Africain. C’est à ce titre-là que je l’ai connu.

Vous savez que Paris constitue le carrefour où tous les Africains se rencontrent. Et lorsque nous nous rencontrons, il est quasiment difficile de nous identifier en tant que Congolais, Camerounais, etc. Nous nous rencontrons en tant qu’Africains pour précisément lutter et améliorer la situation en Afrique, particulièrement pour construire cette unité africaine.

C’est vous dire qu’effectivement l’on ne se définit pas en tant que Congolais ou Camerounais. Surtout que toutes ces désignations n’ont aucun sens. Elles n’ont en fait aucune réalité, ni historique ni naturelle, de l’Afrique. Mais, ce sont les pesanteurs de l’impérialisme, des intérêts égoïstes des pays assoiffés de domination qui nous ont séparés pour en faire des Camerounais, des Zaïrois, etc.

Donc, par définition, le Centre d’études et de recherches sur les valeurs africaines que le professeur Kote Essome nous a légué ne se définit pas en tant que centre d’études et de recherche au Cameroun, au Sénégal ou au Congo. Il se définit en tant que valeurs africaines. C’est à partir de ces valeurs-là que nous nous définissons et rien d’autre.

Actuellement, est-ce que ces centres sont disséminés à travers l’Afrique ou bien ils ne sont installés qu’en Europe ?

Retenez qu’il est assez laborieux de pouvoir remonter la pente pour aller vers la source. Les valeurs africaines exigent des Africains la détermination, la volonté de pouvoir remonter le courant jusqu’à la source. Et c’est très difficile. Beaucoup restent en cours de route surtout que la plupart préfèrent l’aisance matérielle, le confort philosophique ou intellectuel des autres que d’aller buriner pour arriver précisément à sa propre dignité.

Ce centre se trouve à Paris. Il s’appelle Aciva Cerva. Il existe au Cameroun. Au Congo, frères et amis m’ont fait l’honneur de pouvoir diriger le Centre d’études et de recherches sur les valeurs africaines. Nous avons également le même centre à Abidjan. Il était déjà au Sénégal.

Vous voulez dire que ce centre est partout…

Oui. Le Centre d’études et de recherches sur les valeurs africaines est partout. Partout où ceux qui ont appartenu à ce terreau-là de l’Afrique vont, ils le récréent ; ils le construisent. Puisque nous sommes partis de quelque part, un peu comme les chrétiens ou les enfants d’Israël. Ils sont sortis de l’Egypte pour rentrer chez eux. C’est un peu l’image, mais elle s’arrête là.

C’est-à-dire nous étions quelque part, là où les talons des autres nous écrasaient sur la nuque. Jusqu’aujourd’hui, ils continuent à écraser les Africains. C’est là, au sanctuaire même de la domination, où nous avons pris conscience qu’il fallait absolument, mais inexorablement, nous déterminer, nous décider de retourner dans nos valeurs culturelles. Pour y puiser la force nécessaire pour pouvoir enfin mener un combat différent ; pas un combat d’ordre politicien, économique ou sociologique, mais un combat d’ordre culturel. Cela est d’autant plus vrai que l’aliénation a commencé par la culture. Le reniement, l’acculturation demeure la base même de notre déperdition.

A qui et à quoi voulez-vous faire allusion ?

Les colons sont arrivés ici pour nous coloniser. Ils ont d’abord apporté les armes – à armes égales, on les a battus, ils ont fui. Souvenez-vous des premières conquêtes. Ils n’ont pas résisté. Nous avions nos armes à nous, notre propre génie. Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Comprenant bien que nous aimons Dieu, les colons nous ont amené les missionnaires pour nous évangéliser, avec un seul mot : l’amour. Et au nom de l’amour, nous avons cru qu’on avait à faire à de vrais amis, de vrais frères. Or, ils venaient avec la parole d’amour, mais avec un cœur qui portait autre chose : l’exploitation, la domination. Et c’est par cela que nous avons été aliénés, endormis, envoûtés, ensorcelés…

Pouvez-vous nous donner les grandes lignes de la pensée de Kotto Essome, vous qui êtes son disciple ?

Le maître Koto Essome a laissé au monde une pensée fondamentale qui s’appelle l’endocentrisme. Pour vous définir l’endocentrisme, il faut partir du fait que le professeur Koto Essome a passé toute sa vie à s’interroger sur la vision du monde. Il a mené des études et des recherches en tant que philosophe, mathématicien, je passe le reste car, il a fait le tour de toutes les études, de toute la formation occidentale. Donc, personne ne peut dire qu’il lui manque ceci ou cela, qu’il n’est pas historien ou qu’il n’est pas anthropologue, etc. Il est à l’égal du professeur Cheik Anta Diop. C’est un monument de la pensée africaine.

Il s’est interrogé constamment sur la vision du monde. Et jusque-là, il a pris la vision du monde des autres, la vision grecque, etc. Nous avons été moulus dans les écoles au travers de ce moule-là de la vision du monde des autres, jusqu’au moment où il s’est rendu compte que l’Afrique avait sa propre vision du monde. Mais cette vision, nous qui sommes de cette génération, nous ne l’avons pas comprise d’abord et elle n’a pas été formalisée. Logiquement on ne peut apprendre à l’école la vision africaine du monde.

Mais pourquoi ?

On vous dira que la vision du monde de l’Afrique, c’est le folklore, la danse, les masques, etc. Donc, on ne prendra que des choses totalement périphériques, tout à fait matérialistes, à savoir ce que les gens ou les yeux voient.

Qu’est-ce que le professeur Kotto Essome a fait ?

Il a dit non. Il fallait pour cela approfondir, rentrer dans le tréfonds même de notre culture. Et quand il est rentré dans le tréfonds, c’est-à-dire dans le souterrain de la culture, il a découvert que l’Afrique a une vision du monde qu’elle a donnée au monde.

Qu’entendez-vous par le mot souterrain ?

Le souterrain, c’est le sacré africain. Nous avons d’autres types de sacré. Chaque peuple a son sacré. L’Europe a son sacré qu’elle a valorisé. Il s’appelle le christianisme. Nos amis arabes ont leur sacré : l’islam avec Mohamed. Les Juifs ont le leur : le judaïsme. Les Indiens, les Hindous, les Asiatiques ont leur sacré : le bouddhisme.

Cela étant, vous pensez que l’Afrique qui est le berceau de l’humanité est complètement dépourvue de son sacré ? C’est aberrant, n’est-ce pas ? L’Afrique est la mère et vous croyez qu’elle n’a pas toutes les qualités pour mettre au monde un enfant ? C’est inimaginable. Si nous sommes le berceau de l’humanité, c’est que tout, naturellement, a commencé en Afrique. C’est ce que le professeur Essome a recherché et il a retrouvé effectivement dans le tréfonds, c’est-à-dire dans le sacré africain, qu’il y avait une vision du monde ; pour mieux faire comprendre cela à nous tous qui avions été à l’école des Blancs et qui détestons l’école des Noirs, celle des ancêtres. Nous détestons cette école des ancêtres parce que les religions nous ont appris que c’était de la sorcellerie, de l’arriération.

Vous savez que les administrateurs nous disaient que si nous étions pauvres c’est parce que nous tenions à nos traditions. Mais, pendant ces temps, ils ne faisaient que constituer des musées chez eux. Ce qu’ils détestent chez nous, ils l’amènent chez eux. Ils amènent nos statues chez eux pour faire des musées de renommée internationale, notamment le musée de Tervuren en Belgique. Tout ce que vous trouvez à Tervuren, statues et masques, vient du Congo, de l’Afrique. Voilà comment les Africains ont été aliénés. Et le professeur Kotto Essome a dit non à tout cela.

Selon vous, quel caractère revêt la lutte du professeur Kotto Essome ?

Certes, il y a eu des luttes à caractère politique, politicien, intellectuel, économique, sociologique, même culturel au sens religieux. Mais, la lutte que le maître Kotto Essome a menée est une lutte du sacré. Une lutte qui consiste en la restauration du sacré, qui redore la civilisation africaine.

Etant donné que cette civilisation a été longtemps occultée, il fallait absolument qu’il y ait un groupe d’hommes et de femmes qui parviennent à comprendre d’abord et à faire comprendre aux autres ce qu’est le sacré africain.

Ce sacré africain se trouve dans le tréfonds.

Comment appréhendez-vous ce tréfonds ?

Le tréfonds africain, c’est l’initiation. Quand vous allez chez les Bapende, on vous parle de « mungonge ». Quand vous allez dans n’importe quelle autre communauté de chez nous, on vous dit qu’un garçon ne peut pas devenir un homme capable de produire, de reproduire si on le circoncit pas. Circonscrire quelqu’un, c’est l’amener dans la forêt, lui apprendre à devenir un homme. C’est ça l’initiation. Et quand il va dans la forêt, c’est pour apprendre à communier avec les animaux, les insectes, les plantes, les arbres, etc. Donc, il s’identifie à l’environnement.

Un Africain qui a été initié dans la forêt, connaît le langage des oiseaux, des animaux. Il connaît la différenciation des animaux. Il sait quelle plante peut soigner un corps s’il est malade. Il cause avec la plante…Ca, c’est le tréfonds. Il n’est pas donné à tout le monde de posséder cela.

En un mot, l’initiation en Afrique apprend aux gens à lire la nature qui est la grande Bible. La grande Bible de l’Afrique c’est la nature. Nous avons une grande bible et une grande bibliothèque qui s’appelle la forêt équatoriale. Et nos ancêtres savaient lire dans cette bibliothèque. Et apprendre aux enfants à lire dans cette bibliothèque s’appelle initiation. Ce n’est pas mystérieux. Ce n’est pas sorcier non plus.

Voilà pourquoi et comment le professeur Essome, ayant compris ces arcanes-là de la lecture de la nature, a compris qu’il existe véritablement une vision du monde de l’Afrique. Il a nommé cette vision l’endocentrisme, c’est-à-dire que l’Africain, lorsqu’il parle à l’arbre, il s’identifie à celui-ci. Il comprend l’arbre non pas en tant qu’élément extérieur à lui, mais en tant qu’élément faisant corps avec lui. L’éducation africaine que nous appelons initiation, nous a appris qu’il faut être en harmonie avec la nature mais aussi avec le visible, l’invisible, avec ce que vous appelez les morts, les ancêtres. Vous ne pouvez pas évacuer les ancêtres de la vision du monde de l’Afrique. C’est impossible. C’est comme si aujourd’hui quelqu’un va dire que le christianisme peut exister sans la résurrection de Jésus Christ. Il n’y aura jamais de christianisme si on nie la résurrection.

C’est tout cela l’endocentrisme de professeur Essome…

Assurément. L’endocentrisme, c’est l’aptitude à saisir le monde de l’intérieur au point de coïncider avec ces pulsations infinitésimales sur la loi du silence, le retour sur soi et le redéploiement de l’énergie cosmique. Cette vision du monde de l’intérieur instaure donc une relation d’affinité, d’harmonie, d’amour entre l’anthrope, la société et son environnement ; le cosmos, le visible et l’invisible. Voilà la pensée fondamentale du professeur Kotto Essome.

Est-ce que vous ne pouvez pas expliciter votre pensée ?

Cela signifie, pour l’Africain, que le monde est constitué en neuf cercles concentriques. Les neuf cercles concentriques sont les sphères d’énergie. Elles commencent par un, le centre. C’est Dieu. Le deuxième cercle c’est les « binzambi », les dieux. Troisième cercle, les génies, les « bilima » comme on dit en lingala ; quatrième cercle, les ancêtres ; cinquième cercle, les hommes parfaits. Le sixième cercle, ce sont les humains ; septième cercle, le règne animal ; huitième cercle, le règne végétal ; neuvième cercle, le règne minéral. Entre ces différentes sphères, circule l’énergie.

Si je dois résumer un tout petit peu, vous comprendrez que le neuvième cercle, c’est l’énergie minérale. Chaque énergie, depuis le minéral jusqu’à l’humain, a sa propre qualification. Chaque cercle a une énergie bien spécifique. L’énergie minérale est une énergie principalement de transmutation, de transformation. Lorsque vous plantez une graine dans la terre, naturellement la graine pourrit et elle se transforme en arbre. C’est l’énergie de la transmutation. Et ceux qui cherchent par exemple l’uranium, ils s’en rendent bien compte parce qu’il y a de fois où l’on dit qu’il n’y a plus d’uranium dans une mine. On disait de Chinkolobwe, en 1950, qu’il n’y avait plus d’uranium, que la mine était vide ; mais quelques années plus tard on s’est rendu compte qu’il y avait encore de l’uranium dans cette mine. Donc, c’est une énergie de transmutation.

L’énergie végétale est par définition une énergie thérapeutique. Thérapeutique, comment et pourquoi ? Parce que d’abord elle soigne. Elle soigne aussi le corps lorsqu’il y a dysfonctionnement, lorsque le corps n’est plus en harmonie avec lui-même. Et la loi de l’harmonie est une loi fondamentale pour l’Afrique.

Vous avez l’animal. Il a une énergie, laquelle ? Une énergie sacrificielle, c’est-à-dire on demande à la partie animale, comme le lion, le léopard, la chèvre, la poule, des sacrifices. Il faut vous sacrifier et particulièrement pour les hommes, il faut sacrifier ce qui est purement animal en vous : la colère, l’égoïsme, tout cela fait partie de l’animal, des instincts de survie, etc…C’est cela qui caractérise l’animal.

Enfin, vous avez l’humain dont l’énergie la plus importante c’est la parole.

Que peut-on retenir à ce sujet ?

En Afrique, pour passer de l’humain à l’homme parfait ou au sage, il faut maîtriser la parole. C’est par la parole qu’on devient effectivement un homme parfait. Pas par autre chose. Ce n’est pas par l’école, l’université ou les diplômes. C’est par la parole vécue, proférée. Dans la culture africaine, la perfection est de cette terre. On n’attend pas le lendemain pour devenir parfait. La perfection se crée. Elle se constitue, se construit ici sur terre. Et c’est à travers la parole, la parole de lumière, la parole d’amour. Alors celui-ci qui, de son vivant, a manifesté l’amour, a vécu cet amour, et transmis cet amour, a enseigné cet amour, cet homme-là qui est un homme parfait, lorsqu’il transite, il passe d’une sphère à l’autre, c’est-à-dire de la sphère des hommes parfaits à la sphère de ceux qui sont invisibles à l’œil nu, il devient ancêtre. Et ne devient pas ancêtre qui veut. Il faut avoir été un homme parfait.

Un exemple d’un homme parfait ?

Vous voulez que j’en cite quelques-uns ? Il y a Simon Kimbangu que vous connaissez. Il y en a d’autres. Simon Kimbangu, de par son vécu, était un homme parfait. De son vivant, il était un homme parfait. Et quand il meurt, ou quand il transite comme nous disons, il devient un ancêtre, mais pas un ancêtre tout simplement du Bas-Congo ou du Congo. Il est ancêtre de toute l’Afrique. C’est cette réappropriation de la dignité africaine que le Centre d’études et de recherches sur les valeurs africaines prône ; donc à partir de là unir l’Afrique. Telle est naturellement la mission de Kotto Essome.

C’est à partir de cela que vous comptez unir l’Afrique ?

Certainement. Unir l’Afrique, non plus à partir de luttes intestines et politiciennes, mais à partir de l’amour, de la culture. Cela est d’autant plus vrai que le professeur Essome considère, et nous considérons avec lui, que le politique, l’économique, le sociologique, etc, ce sont des subséquents du modèle culturel. Il est évident que l’on ne va pas unir l’Afrique en prenant le modèle de l’Union européenne pour avoir l’Union africaine. Dans les cœurs, les Africains ne s’aiment pas. Comment voulez-vous qu’ils construisent l’unité ? Ils ne peuvent pas construire l’unité africaine sur la base du modèle des Européens, des Américains, des Russes ou des Chinois. Il faut aller dans le tréfonds, c’est-à-dire découvrir que l’unité que vous allez créer n’est pas seulement l’unité de vivants, mais c’est aussi l’unité de morts comme vous les appelez, l’unité des ancêtres. Les morts ne sont pas morts. Ils ne vivent pas, mais ils survivent, dit Birago Diop.

C’est bien d’avoir toutes ces pensées. Mais comment voulez-vous changer l’Afrique si toutes ces belles pensées ne sont pas apprises à l’école par nos enfants ?

Je vais tout d’abord vous donner la méthodologie du travail. On nous a beaucoup gâtés par l’école des Blancs par des livres. Beaucoup de livres. Mais personne ne les met en pratique. Combien d’Africains ont étudié chez les Blancs ? Mais les Blancs, eux-mêmes, savent quel livre ils doivent mettre en pratique. Nous, par contre, on avale tout. On est des consommateurs de livres. Mais Cerva c’est un peu différent. Le Cerva a cherché à voir ce qu’il y a d’intéressant, capable de pouvoir répondre au défi de notre temps, qui est aujourd’hui le défi de la communication.

L’Afrique est de la civilisation de la parole et non de l’oralité comme l’ont fait croire les Blancs. Ils soutiennent que les Africains sont de la tradition de l’oralité et de palabres autour du feu ou d’un arbre. C’est faux. Les Blancs n’ont absolument rien compris. Ils ont saisi notre monde de l’extérieur au lieu de le saisir de l’intérieur. Alors, ils nous parlent de la civilisation de l’oralité. Les Africains doivent comprendre qu’ils sont de la civilisation de la parole et les chrétiens ont appris cela : « au commencement était la parole », et cette parole est venue de l’Afrique. On ne peut pas être au berceau de l’humanité et au même moment, Dieu prend la parole et il la donne aux autres. C’est impossible. Comment voulez-vous que nous soyons le berceau de l’humanité et la parole, on va la donner aux Israéliens. Est-ce que c’est compréhensible ?

Mais vous n’avez pas encore répondu à ma question ?

Pour répondre à votre question, le Cerva organise entre autres des séminaires. Nous en avons organisé un, au palais du Peuple en mai 2001, sur les valeurs africaines et la culture de la paix. Naturellement, nous n’avons pas droit à tous les médias. Je pense qu’il faut d’abord que le Cerva utilise les moyens actuels de communication pour communiquer avec l’ensemble de la population, du moins une grande majorité d’entre elle.

Nous avons publié des livres comme « La parole africaine » et « Le Dictionnaire des proverbes africains », mais combien de gens les ont lus ? Ecrire, c’est bien puisque cela permet de fixer les idées avec les gens, mais lorsque nous parlons comme nous le faisons, il y a de millions de gens qui vont nous écouter. Il y en a peut-être qui vont nous contester. C’est une bonne chose parce que de la contradiction naît effectivement la compréhension. Si vous évitez la contradiction c’est que quelque part l’amour ne vous habite pas. Celui qui fuit la contradiction, il n’a qu’un seul cœur. L’Afrique a compris que l’homme a deux cœurs.

Est-ce qu’on peut penser avec le Cerva la pensée de Kotto Essome peut être disséminée à travers tout le Congo et l’Afrique ?

Absolument, parce que le Centre d’études et de recherches sur les valeurs africaines. Tout ce que nous disons, nous ne l’avons pas appris dans les livres. Ce sont des choses sur lesquelles nous avons fait des recherches, des études. Et pour faire des études, nous nous sommes identifiés à ceux là qui sont dans les villages. Je parcours les villages des environs de Kinshasa : Mitende, Mangengenge, Kinsuka… J’apprends énormément de choses. Mais combien de gens vont faire des recherches dans tous ces villages qui entourent Kinshasa ? Nos frères bateke m’ont appris beaucoup de choses sur Kinshasa. Savez-vous ce que veut dire Ngobila ? Savez-vous ce que veut dire Kinshasa ? C’est un génie. Vous ne pouvez pas faire n’importe quoi à Kinshasa. Quand il ne veut pas, vous ne faites rien…

Ebenezer Kotto Essome décrit ainsi le résul­tat actuel de ce partage colonial :

"Les 52 Etats, nés pour la plupart de la grande décolonisation des années 60 n’ont "trouvé" leurs frontières ni dans les configurations des aires socio-cultu­relIes, ni dans le tracé des régions géographiques naturelles, ni dans la genèse de l’histoire du continent, mais seulement dans l’histoire européenne du XIXe siècle. Bref, ces frontières autour desquelles se développent chaque jour des conflits ne sont que l’héritage du jeu des chancelleries européennes du XIXe siècle" .

Ebenezer Kotto Essome : L’Afrique ou l’identité perdue, revue science et vie, Juillet 1978. n° 730

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La christologie néo-pharaonique de Hilaire Essoh Ngome

Par Kä Mana

Parmi les héritiers spirituels et intellectuels du professeur Kotto Essome, un homme a pris sur lui la tâche de penser spécifiquement l’égyptologie selon l’ordre de ses incidences spirituelles sur le christianisme africain : le penseur camerounais Hilaire Essoh Ngome.

Après avoir activement participé aux activités des disciples parisiens de Kotto Essome à travers l’animation du Centre de recherches sur les valeurs africaines (CERVA) et de la revue La Parole africaine, il s’est engagé vigoureusement dans les quêtes spirituelles de l’Ecole internationale d’étude et de recherche en égyptologie et en sciences humaines (I.E.R.E.) dont il dirige ka Fondation de l’Association Thotmès III International à Douala (Cameroun). Aujourd’hui, il collabore avec Kange Ewane dans la recherche engagée par l’Académie SCAT sur les traditions et les valeurs africaines.

Mathématicien de formation et spécialiste des traditions ésotériques de différentes aires de civilisation, il a fait de l’égyptologie son champ de recherche privilégié, domaine dans lequel il s’est consacré à l’étude des mythes et systèmes symboliques qui constituent l’imaginaire pharaonique et sa prégnance sur les cultures africaines traditionnelles et contemporaines.

C’est au cœur de cette recherche sur les mythes et systèmes symboliques ésotériques dans l’histoire qu’il inscrit ses travaux sur le Christ et le christianisme dans l’Afrique d’aujourd’hui. Toute sa recherche sur ce terrain part d’un constat, d’une interrogation et d’une inquiétude.

Le constat est celui de la schizophrénie qui caractérise beaucoup de chrétiens africains. En même temps que ceux-ci affirment haut et fort qu’ils ont foi dans les dogmes proclamés par les églises auxquelles ils appartiennent, et qu’ils ont décidé de vivre selon les règles morales qu’elles édictent, un grand pan de leur vie se déroule conformément aux croyances et systèmes spiritualo-symboliques issus de leurs traditions ancestrales et de son actualité vivante au cœur des villes et partout dans le monde paysan. Ils croient au salut en Jésus-Christ en même temps qu’ils s’adonnent à des cérémonies mortuaires destinées à faciliter le voyage de l’esprit du mort dans le monde des esprits. Ils croient au pouvoir salvifique et guérisseur de Jésus en même temps qu’ils peuplent les cases des féticheurs et des devins de tous bords. Ils proclament être protégés et animés par la puissance de Dieu en même temps qu’ils se couvrent de gris-gris et d’amulettes. Ils annoncent Jésus-Christ comme unique médiateur en même temps qu’ils règlent leur vie spirituelle sur une multitude de médiations des ancêtres, des divinités et des génies tutélaires. Ils professent la monogamie comme volonté divine révélée en Christ en même temps qu’ils pratiquent sereinement et en toute bonne conscience le système polygamique.

Ce constat a conduit H. Essoh Ngome à une lancinante interrogation: que se passe-t-il dans les consciences et dans les têtes des chrétiens africains pour qu’ils ne sentent pas que la juxtaposition pure et simple de deux systèmes religieux les mène vers des contradictions spirituelles et morales qui aboutiront un jour ou l’autre à une implosion irrémédiable? Pourquoi s’accommodent-ils d’une vie dont ils savent pourtant qu’elle porte en elle les germes d’une déchéance éthique par le mensonge, l’hypocrisie, le double jeu, le simulacre et le faux-semblant?

Aux yeux de H. Essoh Ngome, toutes ces questions sont lourdes d’une profonde inquiétude. Celle de voir l’Afrique perdre tout dynamisme dans la créativité spirituelle et religieuse, s’enliser dans une médiocrité généralisée faute de principes de vie solides et sombrer dans une fausse conscience d’elle-même qui l’empêcherait de prendre ses responsabilités devant l’histoire et devant les générations à venir.

Analysant patiemment les paradoxes, les dilemmes et les contradictions des chrétiens d’Afrique, le chercheur camerounais a compris que la situation qu’il constate, qui l’interroge et qui l’inquiète est, en fait, due à une double ignorance. D’une part l’effarante méconnaissance des systèmes religieux traditionnels que beaucoup ne vivent aujourd’hui que par mimétisme, dans le cadre d’un traditionalisme éthéré et sans consistance. Et d’autre part le vide intellectuel qui caractérise la société africaine dans sa compréhension de la foi chrétienne dans son projet essentiel.

Ce double déficit freine toute possibilité d’une synthèse spirituelle lucide et constructive, qui donnerait à l’Afrique un christianisme conforme à son génie culturel et chargé d’un grand projet de vie pour toute l’humanité.

L’effort constant du professeur Essoh Ngome est de combler ce déficit et de proposer, au nom de l’Afrique, un chemin d’espérance digne de tous les rêves de plénitude humaine.

Sa recherche égyptologique obéit à cette quête. Convaincu avec Cheikh Anta Diop que l’Egypte antique est la matrice de la culture africaine, il se propose de partir du cœur du système religieux pharaonique pour découvrir la clé de l’intention religieuse africaine. Se fondant sur une intuition très fertile de Kotto Essome, il a pris pour socle du religieux africain le plus vieux mythe de l’Egypte pharaonique: le mythe d’Isis et d’Osiris.

En voici l’ossature essentielle : - Osiris, roi d’Egypte, gouverne le pays avec son épouse et sœur Isis, dans la paix, le travail et la prospérité; - Son frère, Seth, convoite le trône. Il imagine un génial stratagème pour éliminer son frère. Il construit un superbe sarcophage, selon les mensurations du Roi. Au cours d’une fête, il propose d’offrir le sarcophage à celui qui s’y coucherait et dont les mesures correspondraient à celles du splendide «bijou» funéraire. Après tous les convives qui s’y essaient sans succès, Osiris pénètre royalement dans le sarcophage. Le piège marche à merveille. Les sbires de Seth plombe le beau cercueil et le jette dans le marécage. Seth s’empare du pouvoir. - Informée, Isis se met à la recherche du corps de son époux et frère. Elle le retrouve à Byblos, le ramène à la capitale et l’enterre avec dignité, selon le rituel d’usage. - Découvrant un jour le sarcophage vide de son contenu, Seth fait rechercher le corps de son frère et le découpe en douze morceaux qu’il fait disperser dans les douze provinces de son pays. Une autre tradition raconte que les morceaux furent dispersés dans les eaux du Nil. - Isis fait rechercher patiemment les parties dispersées, les rassemble, leur confectionne un membre viril et s’en fait féconder. - Un fils naît de cette fécondation scientifico-magique: Horus. Devenu adulte, ce fils combat Seth, triomphe de lui dans plusieurs épreuves de courage et d’endurance, puis devient roi.

Aux dires de H. Essoh Ngome, il n’est pas possible de saisir le système interne de la religion africaine, son esprit le plus profond et le plus fécond, si on ne l’enracine pas dans ce mythe dont Kotto Essome avait déjà compris tout le potentiel créateur. Dans ce mythe, il est clair que le fondement de la vie africaine est la quête de l’unité vitale, sociale et politique que les systèmes de violence et de division cherchent constamment à briser, à détruire. La relation avec Dieu est le chemin de cette unité: son incarnation spirituelle dont les systèmes d’organisation religieuse de l’Afrique ont concentré l’énergie. Mais cette unité est ancrée dans une relation primordiale avec la terre, avec l’appartenance de l’homme et de la société à la terre comme force de production de richesses nourricières, cette terre fécondée par le Nil dans une puissante coulée d’alluvions qui ont structuré un imaginaire commun et secrété une vision du monde où le recours au Roi comme représentant de Dieu pour garantir la prospérité par le travail constitue le ressort essentiel du spirituel. Le corps d’Osiris, le corps du pays, le corps de la société et le corps du monde composent une entité fertile que féconde l’énergie d’invention et de créativité représentée par le corps de la femme, Isis, et le corps de l’avenir qu’est l’enfant sauveur et restaurateur de l’unité, Horus.

Unir Osiris, unir le pays, unir la société, unir les forces créatrices et unir le destin du présent, du passé et de l’avenir, telle est l’essence de l’action religieuse, de l’énergie spirituelle.

Les Africains ont aujourd’hui perdu le sens de cette intention fondatrice de leur vision du religieux et du spirituel. Ils ont tendance à penser leur relation à Dieu selon un principe de division, en eux-mêmes, entre les éléments chrétiens et les éléments de leur propre culture religieuse. Ils ont détruit leurs propres fondations culturelles et se sont ainsi condamnés à une errance sans fin. Leur relation à la foi chrétienne souffre de la même tare. Du Christ, ils ne semblent pas avoir saisi le véritable enracinement spirituel et religieux dont les éléments essentiels sont les suivants, aux yeux de H. Essoh Ngome : - l’affirmation du Dieu créateur pour l’avènement de l’homme créateur et maître de sa destinée; - la grandeur d’un Dieu libérateur pour l’exaltation de l’homme libre et libérateur; - l’incarnation de Dieu dans l’histoire pour que l’humanité soit à la mesure de Dieu dont notre monde a à devenir l’espace de manifestation: le Royaume; - l’utopie chrétienne comme horizon par rapport auquel on marche pour l’avènement de nouveau cieux et de la nouvelle terre.

Au lieu de saisir tous ces éléments dans une seule et même configuration qui structure les mentalités, forge les caractères et nourrit l’esprit des institutions sociales, l’Afrique donne l’impression d’être théologiquement livrée aux démons des divisions doctrinales et des conflits confessionnels, des ruptures entre l’ici-bas et là-haut, de la conformation aux intérêts tribaux, nationaux et régionaux. De même qu’elle souffre d’une paralysante balkanisée.

Comme Osiris dans le mythe antique, son Christ est disloqué, découpé, dépiécé et éparpillé dans une multitude de doctrines et de dénominations dont l’œcuménisme de surface que développent les églises masque malles intérêts irréconciliables et l’héritage éclaté. Le rapprochement Osiris-Christ qui s’impose de lui- même ici est le ressort profond de la pensée théologique de H. Essoh Ngome.

Pour juguler les méfaits spirituels et sociaux de la schizophrénie africaine, le penseur camerounais propose l’intégration du Christ dans la dynamique osirisienne. Ou plus encore l’affirmation de l’identité foncière entre Christ et Osiris. «Christ, c’est Osiris; Osiris, c’eSt Christ», affirme le professeur Essoh Ngome.

Mais qu’est-ce que cela veut dire, concrètement? Que l’énergie du Dieu créateur, libérateur, rédempteur et novateur révélé par Jésus de Nazareth comme Christ de Dieu est le souffle que Dieu donne à l’énergie unificatrice, régénératrice et vitalisante qui a nourri toute l’histoire de la spiritualité et de l’action religieuse africaines.

Il est nécessaire que le Christ dans son esprit et Osiris dans son souffle deviennent un seul et même sillon de l’esprit et du souffle créateurs de l’Afrique contemporaine.

Mais cela n’est possible que si les Africains se déconditionnent de leur intelligence actuelle du christianisme et se libèrent de la vision qu’ils ont du christianisme comme religion importée et intrinsèquement divisée par le monde occidental. Sur la même lancée, cela n’est possible que si les Africains s’attellent à assumer à nouveaux frais leur relation à l’esprit primordial de leur tradition religieuse et de leur vie spirituelle telles que les révèle l’Egypte antique : un espace d’un lien intime et essentiel de l’homme avec l’ensemble de la réalité.

Lorsqu’il s’agit de donner plus de précision sur ces perspectives, la pensée de H. Essoh Ngome devient très floue et très difficile à interpréter. Ce que nous croyons en avoir perçu se résume en deux lignes directrices. - La première ligne est celle d’une vitalité spirituelle nourrie par Christ-Osiris comme réalité « agraire «, force d’ensemencement, de croissance, d’épanouissement et de plénitude. Puissance de vie qui lie l’homme à un point de l’univers et l’ouvre en même temps à toute la création. Principe d’une vie de responsabilité de l’individu et de sa communauté à l’égard de la société et de toute la création prise comme espace vital, champ commun d’épanouissement. A notre sens, il s’agit sûrement d’une spiritualité écologique à laquelle la personnalité du Christ apporte un éclairage essentiel : la conscience de l’appartenance de l’homme à la réalité aux dimensions toute création, de l’ordre du minéral jusqu a ‘ordre esprits. Le penseur camerounais cherche sans doute à montrer que le néo-pharaonisme africain apporte comme projet à l’humanité un Christ-Osiris qui est principe éco- logique d’un humanisme de l’amour que le christianisme occidental a, à ses yeux, trahi profondément. Mais Essoh 1Ngome touche ici à des fibres ésotériques dont nous avons de la peine à saisir clairement tous les enjeux. - C’est cette dimension ésotérique qui trace la deuxième ligne de pensée du chercheur camerounais. Elle est plus floue encore que la première. Elle concerne la nécessité des écoles de pensée spirituelle secrète comme lieux d’initiation des Africains aux valeurs profondes de la vie, à la lumière des traditions africaines et de leur source: l’Egypte antique. Selon ce que nous en avons compris, l’idée de base est de donner à l’énergie du Christ-Osiris des espaces d’incarnation socio-éducatifs crédibles, sorte de bosquets où des loges et des couvents ésotériques s’attelleraient à promouvoir une conscience nouvelle pour construire une nouvelle société. En concevant ces espaces comme des lieux initiatiques organisés selon les échelons et les degrés du savoir spirituel, théologique et religieux, Essoh Ngome veut sûrement les dissocier des églises et des communautés chrétiennes existantes, en vue de disposer de ressources humaines qui ne coupent pas le christianisme africain de ses sources pharaoniques.

Philosophe et théologien congolais Tiré de:
«Le soufle pharaonique de Jésus-Christ»
 

Source: Dikalo la Mboa Sawa | Hits: 44117 | Envoyer à des amis  ! | Imprimer ! | Réagir(0)

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