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10.06.2006

Thérèse KUOH MOUKOURY 

Biographie

Thérèse Kuoh-Moukoury est née à Yaoundé le 7 février 1938, elle est originaire de la région du Wouri et de la ville de Douala. Elle a été élevée au sein d´une famille de 8 enfants. Son père, Jacques Kuoh Moukouri, est l´auteur d´un ouvrage autobiographique intitulé ´Doigts noirs´. Il était Administrateur de la France d´Outre-Mer. Thérèse Kuoh-Moukoury a accompli ses études secondaires et universitaires en France. Elève de l´Institut des hautes études d´outre-mer, elle s´est spécialisée, après une formation juridique, dans la magistrature pour les enfants. Elle vit à Paris depuis de nombreuses années mais ses activités l´ont amenée à voyager dans un grand nombre de pays. Elle a été présidente de l´Union des femmes africaines et malgaches. Thérèse Kuoh-Moukoury est consultante dans une société civile professionnelle en matière de communication et d´organisation. Elle a souvent travaillé pour des organisations internationales ou comme expert auprès de Gouvernements africains en matière de communication sociale.

Ouvrages publiés

Rencontres Essentielles. (1967). Paris: L´Harmattan, 1995 (125p.). ISBN: 2 7384 3431 2. Roman.

Extrait

La petite villa est blanchie à la hâte pour être louée à un couple français nouvellement arrivé au Cameroun. Ma mère aidée de quelques jeunes filles et de boys nettoie la cour et enlève de la mauvaise herbe aux fleurs plantées par les anciens "occupants" grecs.
Mon père prend particulièrement soin de ses locataires. Il les traite avec une gentillesse et une courtoisie un peu forcées. La moindre de leur volonté est satisfaite. Il accepte ainsi d´enlever tel arbre, de déplacer ce puits, d´interdire le pilage des graines ou les jeux d´enfants.
Oui, je comprends, il faut à tout prix louer cette villa construite avec beaucoup de mal. Il y a tant de bouches à nourrir, tant de corps à soigner, des jeunes à instruire, des vieux à enterrer.
Mes parents, en plus, tiennent à former un vrai couple africain du XXème siècle : mamère veut une machine à coudre, un fer à repasser, un vélo, des robes de coton, de soie, de satin, des bijoux fins... Mon père a besoin d´un poste radio, d´un vélo, lui aussi, d´un pick-up pour remplacer le vieux phonographe, plus tard d´un réfrigérateur. Au bureau, il se veut impeccable, cuirassé dans un costume kaki, de forte toile de lin, dûment empesé.
Mon enfance n´offre aucune originalité. Elle ressemble à celle des autres enfants de mon âge et de ma condition. Je n´ai ni le souvenir d´une grande misère, ni la nostalgie d´un luxe extraordinaire. Je garde de cette enfance assez facile, mais quelconque, le souvenir un peu amer des gifles de mon père, toutes les fois que les cris de nos Jeux troublent la sieste sacrée de ses locataires.

Sorti en 1967, ce livre est un des tous premiers romans dus à une Africaine d´expression française. Florence épouse Joël mais le fait de ne pas pouvoir avoir d´enfant l´éloigne peu à peu de son mari qui finit par la quitter.
"Le style! Quelle réussite! Une voix qui dit d´un ton calme, comme détaché, les choses les plus bouleversantes. Le personnage de Zimba confère une résonance toute particulière au récit du drame". A-C Jaccard.


Les Couples dominos. Paris: Julliard, 1973. (Réédité chez L´Harmattan en 1983).


Entretien avec T. Kuoh- Moukouri première romancière camerounaise
par Cécile Dolisane-Ebossè
Labrysétudes féministes
janvier/ juillet 2004


Résumé

Une rencontre essentielle autour des valeurs de l’altérité, des valeurs féminines, de la transculturalité, de l’exil, du métissage, de l’hybridisme, de la globalisation, et en un mot du respect de la différence.

Cécile Dolisane-Ebossè : On parle de plus en plus de la mondialisation et du village planétaire, en tant qu´écrivaine camerounaise vivant à Paris et profondément enracinée dans sa culture, comment percevez- vous cette ébullition et comment s’est effectuée cette rencontre des cultures dans le passé?

Thérèse Kuoh-Moukouri: D’abord, je tiens à vous signaler que la rencontre de deux ou plusieurs cultures, techniquement et de toute manière, donne lieu à des chocs. Pour le Cameroun, ce choc a été relativement doux parce qu’il n’a pas été colonisé à travers les guerres. Ce pays a été remarqué depuis Hannon le Carthaginois, lorsqu’il découvrit le Mont Cameroun qu’il l’appela “le char des dieux”. Ensuite vinrent les Portugais ainsi que les trafiquants anglais, hollandais et enfin les Allemands avec qui on signa des Traités.

A partir de là, le Cameroun s’inscrivait déjà dans la mondialisation, car les modes de vie des Allemands et des Anglais de par leur spiritualité par exemple, allaient déjà à l’encontre des cultures africaines, il y avait alors déjà une résistance culturelle. Le Cameroun, voyez--vous, s’inscrivait dans le biculturalisme et peu à peu l’Afrique devenait multidimensionnelle. Les oppositions culturelles, dans ce cas, naissent toujours. Il s’agit du statut personnel et de celui qui se présente comme le maître.

En l’occurrence, nous avions nos règles, un droit coutumier opposé à celui de l’occident qui a un rapport avec la propriété alors qu’en Afrique il est communautaire, rien n’appartenait à l’individu ni même les femmes. L’injonction de cette individualité bipartite vient s’insérer dans une nouvelle famille. Ce qui crée aujourd’hui d’énormes conflits en matière d’héritage, cette synthèse n’étant pas évidente.

D.C. : Donc pour vous les termes : assimilation, métissage, multiculturalisme, post colonialisme, tous ces concepts à la mode- mais qui prennent des approches nouvelles- ne sont pas nécessairement nouveaux ?

T.K.-M : C’est la globalisation qui est la résultante de tous ces concepts depuis la rencontre des deux civilisations. On a oscillé entre l’assimilation et le rejet sur le plan individuel et sur le plan économique dans un rapport non égalitaire, l’Afrique étant un réservoir de ressources humaines et matérielles (les hommes et les matières premières) par la différence culturelle. L’âme africaine est inscrite ailleurs mais notre culture intellectuelle est en rupture avec la réalité et celui qui souffre c’est celui qui a vu autre chose et s’en est assimilé au point d’oublier la première. Cela est tout aussi valable pour l’art africain (le surréalisme s’en est inspiré). On est dans un monde comparatif finalement, dans un foisonnement.

Le politique et les zones de pouvoir sont tels que la France ne peut pas renoncer à ses anciennes colonies, on ne peut se défaire d’un pacte, ça nécessite des guerres et des conflits politiques. Les pays colonisateurs ne pouvant pas les lâcher, on est passé de la vision assimilationniste vers les formes les plus évoluées : la coopération.

C.D. : Vous dites donc que les équilibres ont été ébranlés avec la superposition de ces contraires surtout au niveau des valeurs et des acquis féminins, n’est ce pas cela?

T.K-M. : Ses modifications ont touché beaucoup plus la femme, il y a eu plus de protection pour la veuve. Dans le temps, elle était une sorte d’usufruit que la famille concède sur les avoirs, c’était une propriété du mari, un bien. Elle devait alors rapporter. Forte, elle devait cultiver la terre en tant qu’agent «fécondateur». C’était le schéma qu’il fallait suivre, celui du lévirat.

Face à cette structure pyramidale où règne l’esprit de chefferie et prise dans ce réseau de domination, elle se frayait subtilement ses chemins de liberté, elle savait tirer des ficelles en tant que matrice sociale.

D.C. : Puisque vous parlez des valeurs féminines du passé. Aujourd’hui le sujet «femme» est à la mode. On parle de la libération des tabous, de sa sexualité et de l’amour. Pouvez- vous nous parler de l’initiation féminine et de l’éducation sexuelle, si bien sur on peut s’exprimer ainsi. Ces tabous ont-ils toujours fait la valeur des femmes ?

T.K.-M. : Je tiens beaucoup aux valeurs féminines du passé pour mieux comprendre la société d’aujourd’hui. La femme africaine comme je le répète n’a jamais été soumise, disons que le social pesait sur elle, il fallait donc ruser, toujours ruser avec tact, minutie et discrétion. Le sentiment d’amour se manifestait à travers les chants où l’on raillait et félicitait à la fois. Apparemment ludiques, ces chansons avaient une portée didactique significative, car elles posaient des interdits sociaux, que la grossesse hors mariage est un grand problème. Dans les coutumes camerounaises, on fait un enfant dans un mariage, un fille qui fait un enfant hors mariage est un paria. L’amour- sentiment pouvait exister mais encore une fois il ne conditionnait pas le mariage. Ce qui crée beaucoup de frustrations. Et c’est là qu’intervient le contraste avec les mœurs occidentales où l’amour est sentimental, où l’on privilégie l’amour en tant que contact. En Afrique, la virginité était la valeur première sinon la fille était dépréciée. Dans un premier temps, elle servait l’égocentrisme de l’homme mais par la suite il y aura symbiose. Elle peut aussi être donnée comme je l’ai évoqué, plus haut, pour le lévirat ou même prêtée ou vendue, elle pouvait même être mise en gage. Elle n’avait pas la possibilité de s’épanouir. On pouvait y voir une certaine liberté, mais non, dans la mesure où elle est chosifiée et puisque cette liberté lui est imposée par la société. Néanmoins, ces échanges de biens ont profondément dénaturé la nature du mariage. Ici, le jeu était très ambigu. Sachant que sa situation était précaire, l’homme savait en profiter et la femme cherchait à échapper. Conséquence, il s’établissait toujours une instabilité dans la conscience qu’elle avait de son rôle parce qu’elle pouvait être répudiée alors la femme ne rompt pas avec l’utérus de sa mère, son clan lui sert de protection.

A propos de l’initiation sexuelle, je pense qu’on n’a pas assez parlé de son exploration sexuelle, de tous les interdits qui pesaient sur la femme au moment de ses menstrues, de la grossesse, de la naissance, du 1er âge. Les raisons de la polygamie. Si elle n’est pas propre à l’épanouissement de la femme, il fallait passer par beaucoup d’étapes et de médiation, c’est dommage que les gens en parlent toujours avec beaucoup de passion sans connaître le contenu de la chose.

Pour cette éducation féminine traditionnelle, il ne faut pas oublier la gestuelle qui part de la coquetterie à la séduction. Trop tôt, elle est une femme en herbe, on lui apprend la façon de rire, de regarder. Son éducation sexuelle passe par les jeux sexuels. On note déjà une différenciation sexuelle entre le petit garçon et la petite fille. Depuis le bas-âge, le petit garçon se lave avec sa mère, on se sert aussi de la basse-cour, l’enfant apprenait très vite qu’il existe un rapport particulier entre l’homme et la femme à partir de gestes apparemment anodins. Les images requièrent une place considérable. C’est là qu’on constate le pouvoir de l’image. Une éducation puissante à travers le jeu des images. Tout cela est oral et s’insère au savoir supérieur qui est la connaissance de la généalogie mais dans un esclavagisme doux où on l’amène à comprendre qu’elle doit se soumettre au futur mari.

Chez l’homme, l’initiation est surtout la circoncision et sa cérémonie, elle signifie chez l’homme, l’endurance et chez la femme, on vérifie de temps en temps pour savoir si elle est encore vierge, il y avait dans notre bourgade des spécialistes de la "technique de l’œuf". Et cette différence éducationnelle se maintiendra comme une guerre permanente tout le long de leur vie au point qu’elle deviendra plutôt bénéfique pour les deux. Une guerre latente faite de simulation.

C.D. : Et qu’en est-il de l’érotisme à proprement parler?

T.K-M : Le sexe féminin a toujours paru aux yeux de la société comme quelque chose de mystérieux, on le traitait de tous les noms. On préférait alors les parures, l’érotisme subtil se manifestait à travers les objets et les danses ou encore la démarche stimulante. La recherche d’une excitation systématique et concertée entre l’homme et la femme n’existait pas.

C.D. : Après avoir parlé de la femme de cette Afrique precoloniale que vous affectionnez tant, peut- on en venir à la situation moderne avec votre expérience multiculturelle qui vous a permis de faire cette «rencontre essentielle» et de publier les couples dominos? Quelle est votre approche du métissage?

T.K-M : Ma vision de la mixité est plutôt élitiste en fonction de mon éducation. La question du métissage, je l’ai abordée de manière intellectuelle, l’ouvrage est très sociologique. Cette double culture n’est pas sans problème, c’est dans ces cas qu’il y a beaucoup de problèmes psychiatriques. Le métis est très sensible aux problèmes liés à la race.

L’écriture devient alors une véritable catharsis, le cas des Antilles est la forme agrandie de ce qui est ici dans les banlieues. Seulement, leur souffrance n’est pas due au fait qu’ils ont perdu leurs origines mais c’est par rapport à leurs attentes, par rapport au manquement de la société. La dimension du racisme étant plus subtile, fait mal. A ce moment là naissent des frustrations et le retour est différé, vécu parfois comme un échec potentiel. Culturellement l’exil reste l’exil qu’il soit volontaire ou non. Dans le cas de l’immigre en France, nous ne sommes pas dans la vraie culture d’une symbiose. Alors on essaie de réinventer son Afrique, en pensant reproduire l’original et c’est cette quête qui pousse les gens à insérer des mots, à créer des danses et des chansons plus ou moins rudes, à reproduire des repas afin de montrer à la société que tout n’est pas rose. Alors qu’il faut élaguer, il y a des choses qui valent pour le monde d’aujourd’hui et d’autres non. Toutes ses expressions de « l’african heritage » qui s’observent à travers des mots et des concepts, l’on peut les utiliser mais à bon escient sinon on retombe dans le folklore. Alors les jeunes mélangent tout. Souvent ce sont des bribes culturelles qui dans la réalité, ne sont plus utilisables, c’est plutôt un manque de repère culturel. Je me méfie de ce genre d’apport et de rapport culturels. Dans ce fameux rendez- vous du donner et du recevoir on aura rien à rapporter de pesant.

Mais dans cette tourmente de l’immigré, à l’heure du cosmopolitisme, il y a aussi certains européens sous prétexte du respect des cultures, qui se gardent d’établir de véritables critiques, des relations franches avec l’autre comme s’il n y avait pas d’évolution. Toute civilisation n’est civilisation que parce qu’il y a mouvement d’un point du monde à un autre. Alors on va chercher des images insolites. Il y a là une facilité mais aussi un besoin d’exigence, la responsabilité du créateur est là. Quelle image j’ai retenu et comment la traduire ? Qu’importe la réception qui lui est faite ! Les Asiatiques et les Maghrébins ont leur culture. Nous sommes des personnes à qui il faut des repères nouveaux. La culture de la banlieue n’est pas la seule qui soit l’expression de l’âme africaine.

D.C. : Il y a quand même une dimension non négligeable à accorder à ces cultures transversales, seraient-elles hybrides, qu’elle opinion avez- vous de cette culture afro- française?

Les banlieues, c’est un cas particulier de la mixité. Qui est dans les banlieues? Ces couches sociales sont à l’origine des immigrés de la deuxième ou troisième génération pour n’être non pas dans les villages africains mais parachutés dans des métropoles occidentales. Depuis une quarantaine d’années, ils sont arrivés avec un statut particulier de travailleurs immigrés après les familles se sont constituées. Ils sont considérés comme inférieurs et eux de leur côté, pratiquent la polygamie qui va à l’encontre des structures du pays d’accueil et leur vécu. Cette dissonance permanente avec les structures en place qui ne tiennent pas compte de lui, le mettent d’emblée dans une position de déséquilibre et dans une situation ambiguë. L’enfant de cet immigré se trouve dans l’obligation de vivre de deux manières. Soit s’en sortir studieusement et devenir aisé mais la grande majorité manque d’argent et vit dans la promiscuité. C’est le modèle occidental qui prévaut comme vision et aspiration, l’image de l’Afrique que lui donnent ces valeurs sont choquantes et ses parents n’ont pas les moyens de lui faire aimer l’Afrique authentique, c’est alors “l’Afrique en captivité”, sa part d’africanité n’est nulle part valorisé même dans le vécu des parents même si dans les dires, ils l’affirment. L’enfant à sa personnalité à construire et ses principes à édifier et quelques- uns trouvent à en faire quelque chose dans l’art. On aperçoit cette culture comme de revendication, de revanchards, de plaignants, même si ça passé par la danse, il y a un message du mal – être. Il y en a qui dépasse cette adversité. Il y a un paon d’éléments sociologiques que cette culture intègre parce qu’elle naît des contraintes matérielles dans lesquelles vivent les actants.

A mon avis, c’est une culture de transition qui a parfois des aspects très violents, traduisant ainsi ce déséquilibre, ce qui ne lui enlève pas le mérite de parler des choses respectables. Mais on ne peut pas nier sa violence et ce qui m’ennuie c’est que cette violence ne devienne la morale de cette culture. Le stéréotype est devenu que c’est une culture de la violence alors cette morale peut être répréhensible. Elle ne s’arrête pas sur une vision intellectuelle, il y a passage à l’acte. Certains vont pratiquer la casse. C’est pour moi une culture à la recherche d’une identité, demain on sera de plain- pied dans une société globalisée. Quel est l’apport de l’Afrique ? Sera-t-il le teint de la peau ? le bon couscous ? Seront-ils le symbole de l’Afrique ? Dans cette immigration, il y a la colonie jaune qui se détache de la manière la plus douce et le plus affirmée qui soit. La culture africaine est celle qui subit et lorsqu’il n y a pas adhésion à la culture du référentielle, il y a révolte. C. Beyala, ma collègue et compatriote a été très sensible et est celle qui a le mieux traduit ce mal – être des milieux défavorisés en Occident avec des mots de ce milieu. Elle donne une image assez fidèle de ce milieu. Dans ces endroits, on est pas tendre, ça prend une forme sordide, on est dans les catégories défavorisées dans les deuxième ou troisième zone.

Mais il faut ajouter que la persistance dans la marginalisation de l’autre est la peur de perdre l’hégémonie, que l’émergence de l’autre se fasse au détriment de soi. C’est le narcissisme collectif qui fait qu’on se gargarise dans sa suprématie on croit qu’on se dévalorise. C’est le désir de l’autre de le déchoir qui fait l’objet de sa peur. Dès lors que l’autre s’affirme, on pense s’amoindrir, c’est un problème de la représentation de son appartenance dans son milieu, un enracinement et la quête d’une permanence en somme.

C.D. : Vous avez dit à la fin de couples dominos qu’il faut un humanisme plus grand afin qu’il y ait équilibre entre les cultures différentes. Pensez-vous que dans cette superposition de bribes de cultures, l’harmonie une pure vue de l’esprit? Vous avez une vision plutôt utopiste de la mixité!

T.K.-M. : La mixité ou la biculturalité vue sous un angle intellectuel est une richesse extraordinaire et lorsqu’on possède plusieurs cultures surtout que l’on maîtrise l’une et l’autre, c’est génial. Mais, elle a un prix à payer lorsqu’elle n’est pas parfaite. Sa médiation est délicate. C’est sur ce plan personnel qu’il faut une très grande ouverture, un effort de compréhension, de fraternité et de solidarité. Cela demande beaucoup de temps.

C.D. : C’est dire que les couples mixtes ont beaucoup d’écueils à surmonter dans cette multiculturalité. Comment concilier le racial et le sexuel dans un paradigme de la culture humaine?

T.K.-M. : Ces couples dominos, comme je les appelle, sont confrontés à deux problèmes majeurs : celui de l’intégration et un problème interne, celui du couple lui-même.

Le choc vient avec son ouverture et sa charge personnelle, atout et conditionnement social ainsi que de leur ouverture intellectuelle. Il peut avoir compatibilité, ce couple mixte doit avoir de la détermination à franchir les tabous et à se soutenir, à devoir s’insérer mutuellement dans les milieux africains et européens, il est évident que l’accueil pourrait être différent. C’est la force de leur amour et leur détermination qui va conditionner l’épanouissement sinon l’un sera toujours rejeté. Mais l’un peut faire un effort d’assimilation de la culture de l’autre mais cela peut à la longue rendre difficile la stabilité psychologique de son conjoint et dépend de l’image que l ‘individu assimilé à de lui-même. D’où une très grande responsabilité de chacun des partenaires, une responsabilité qui a des incidences sur le plan social et sociologique, par conséquent, il faut beaucoup réfléchir sur ces questions là. Il faut que les époux soient conscients parce que beaucoup de jeunes gens épousent des femmes sans connaître ce qu’ils doivent faire. L’homme et la femme ont besoin de concessions.

Certains Noirs ont subi des humiliations qui leur ont coûté leur vie. Il y a souvent des rejets graves mais d’une manière générale, ce n’est pas le milieu mais le poids social qui est bien grand. Les enfants métis sont paumés, coupés de l’Afrique, ils sont des objets dont on est fier quand on ne peut douter de leur souffrance. Cette question est souvent traitée avec légèreté. Des consultations ou des maisons de suivi psychologique doivent exister. Il doit y avoir des institutions laïques. Car il y a là un problème d’autant plus qu’on va aujourd’hui vers la mixité sociale, sociologique. Ce multiculturalisme est à prendre en compte dans tous les actes de la vie.

C.D. : Donc si la différence culturelle est visible et à prendre en compte pour que l’autre se sente existé, vous en arrivez, que ce soit pour le couple ou pour les personnes issues des milieux différents, aux valeurs de l’altérité!

T.K.-M. : Absolument, dans chaque société, il y a l’autre, il y a moi, il y a le regard de l’autre et son jugement avec les clichés et il y a le croisement des regards, ce qu’on se projette comme image. Vous voyez donc que cette altérité n’est pas l’égalité, mais cette inégalité n’exclut pas une meilleure connaissance des deux parties. Il y a dans les valeurs de l’altérité, je répète une reconnaissance des deux parties dont le bénéficiaire à intérêt à s’exprimer, à se dire sans complaisance, sans attitude prostitutionnelle. Il ne faut pas forcement dire ce qu’il veut entendre, il doit rester lui-même, s’exprimer librement, être lui-même. En France, on peut le faire à travers les médias, le monde associatif, les journaux et même l’édition qui reste très élitiste, il y a des instances suprêmes, il y a des lois donc un arsenal de moyens qu’il faut savoir utiliser pour pouvoir agir. L’idée générale doit pouvoir se faire connaître par cette méthode et non en cassant, ça ne sert à rien s’il faut se faire discréditer alors qu’on défend une cause, donc ici il faut tenir compte de la manière. Mais une fois de plus, on est dans domaine où on tâtonne entre le dialogue et la violence. On est obligé de faire un minimum à l’autre partie pour faire la paix. C’est la complémentarité, c’est même la conscience chrétienne.

Pour que l’Afrique se fasse respecter, nous devons nous approprier les techniques d’importation et du savoir- faire et nous réapproprier les techniques traditionnelles. Le retard de l’Afrique va au- delà du racisme, la faiblesse provient aussi de ceci : lorsque tu ne transmets pas, tu n’échanges pas, tu ne peux pas évoluer. Toute civilisation qui ne laisse pas la place à la jeunesse n’émerge pas. Comment arriver aux résultats d’une bonne altérité? D’une meilleure acceptation de soi et de chacune des deux parties ? Ce qui demande de l’effort de part et d’autre des représentants de ces différentes cultures. L’effort doit être poursuivi, chaque génération vient poser des problèmes nouveaux et on ne peut les poser qu’avec des techniques nouvelles et des pédagogies nouvelles parce que c’est le domaine par excellence de la formation permanente. C’est la voie de la civilisation de demain faite de mélanges, de passerelles avec ses méfaits et ses bienfaits. De l’autre côté, cela suppose de la part des deux apports, une vision de tolérance, d’ouverture et d’humanisme, rien ne peut se faire sans respect de l’autre et la double appartenance elle-même postule que l’on respecte ses deux origines. Ce respect n’est possible que si on a une parfaite connaissance de l’africanité d’un côté et aussi de la culture occidentale de l’autre. Ceci est valable pour la culture et ça l’est également pour la religion.

C.D. : En vous entendant parler, on a l’impression que ses constructions sociales sont un projet et s’inscrivent dans le devenir. Que pensez- vous de l’état actuel de l’Afrique de la diaspora face à la mondialisation? L’Afrique authentique présentait-il un respect de la différence?

T.K.-M. : D’abord, il faut différencier les méthodes et les comportements des Africains liés à leur éducation. Il y a l’immigration maghrébine et celle de l’Afrique noire. Chez les premiers la culture est globale, leur aspect religieux est intégré dans la culture. Pour nous, ces deux sphères sont touters les deux différentes. Nos religions qui n’ont pas résisté même s’ils persistent. Nos langues ont été en déroute, nous traduisons nos langues en alphabet grec. Or qui dit langue dit vision du monde, une structure mentale, l’ordre mental et les structures ne sont pas les mêmes. C’est par-là qu’on tient l’âme d’un peuple (le religieux et la langue) mais on est dans sa reconquête et il ne faut pas perdre de vue cela. Nous avons également une oralité en perdition. Cela suppose absence de pérennité en fonction de la philosophie. La société africaine est une société à forte domination des aînés, société stratifiée avec des problèmes de transmission, avec la notion de sacré et du secret. On n’a pas su assurer la transmission à travers les initiations et ce n’est tout le monde qui a accès au savoir. Il y a le phénomène de la rétention d’information et de savoir. Un tel système de transmission ne se fonde pas dans la durée. On apprenait aux non initiés les gestes pratiques, l’interdit qui pèse sur des savoirs occultes. La divulgation est une offense aux dieux et amoindrit le connaisseur. A force de ne pas vouloir offenser les dieux, on a offensé les hommes parce qu’on ne leur a pas transmis une grande partie de la connaissance. Il y a une grande responsabilité de nos pères devant l’histoire de notre culture et non pas forcément celle de la colonisation.

C.D. : d’autres projets peut-être ?

T.K.-M. : Oui beaucoup de projets, mais en ce moment, avec la disparition de mon père dont j’étais très proche, je ne suis pas très bien. Mais peu à peu je m’en remettrai. Notamment écrire une biographie. Mais c’est vous qui devez prendre la relève et je dois vous guider. Je suis contente que vous vous intéressez aux coutumes et aux femmes du passé.

C.D. : Merci Mme Kuoh-Moukouri

TKM: C’est moi qui vous remercie en espérant que vous ferez de bons travaux et reviendrez me voir pour d’autres recherches.

note biographique

Cécile Dolisane-Ebossè est spécialiste des littératures africaines et antillaises et est l’auteur d’une thèse nouveau régime sur « l’image de la femme dans la littérature camerounaise » et de plusieurs travaux pluridisciplinaires sur les femmes. Elle est actuellement chercheuse invitée au centre des Etudes Africaines à Leiden en Hollande.

Mme Thérèse Kuoh-Moukouri est juriste et première romancière camerounaise. Résidant à Paris, elle est l’auteur de Rencontres Essentielles (1969 et 1995) et couples dominos (1973 et 1983).

unb.br/ih/his/gefem/labrys5/textos/cecilefr.htm
arts.uwa.edu.au/aflit/KuohMoukouryTherese.html
 

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